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LE

CORRESPONDANT

RECUEIL PERIODIQUE.

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LE

COR RESPONDANT

RECUEIL PERIODIQUE.

RELIGION, PHILOSOPHIE, POLITIQUE, SCIENCES, LITTERATURE, BEAUX-ARTS.

TOME DIX-HUITIEME.

LIBRAIRIE DE SAGNIER ET BRAY,

RUE DES SAINTS-PERES, 64.

1847

LE

CORRESPONDANT.

RECIT DU SUPPLICE

DE LA MARECHALE DE NOAILLES DE.LA DUCHESSE D'AYEN ET DE LA VICOMTESSE DE NOAILLES Le 92 SUILLET 1794.

Plusieurs écrivains se donnent en ce moment la mission de réhabi- liter les crimes qui ont souillé la cause de la Révolution frangaise. [I faut remonter a l’époque méme ot ces crimes furent commis, pour trouver une hardiesse pareille & celle qui cherche 4 populariser ces sanglants paradoxes. Mais qui pourrait mesurer le degré du mal que ces paradoxes sont destinés 4 prodtiire dans l’esprit des générations dont |’Université s’est emparée, et qu’elle rend périodiquement a la société dépouillées de toute croyance solide et de toute notion cer- taine sur la mission de l'homme ici-bas? L’avenir seul pourra nous dire 4 quel point la jeunesse de nos jours aura 4 demander compte de ses égarements politiques 41a plume qui a écrit cette Histoire des Girondins, déja trop célébre pour la gloire de son auteur. En atten- dant, pour‘servir autant que nous le pouvons la cause de la vérité et de la société, ces récits apologétiques, a ces tableaux inondés d’une

T. xvi. 10 aver 1847, Liv. 4

2 RECIT D°UN SUPPLICE

fausse lumiére, et qui ont pour résultat, comme on I’a bien dit, de dorer la guillotine, nous voulons opposer le récit sincére et authenti- que d’un épisode de ces journées que la France, égarée par des so- phistes avant d’étre gouvernée par des bourreaux, a si lachement supportées. On y verra quels étaient les bourreaux que ]’on cherche aujourd’hui a revétir d’une parure poétique. On y verra quelles étaient ces victimes dont on voudrait nous faire oublier l’innocence et excuser le rhasgacre ; on y verra surtout ce qu’était cette religion catholique, dont le nom ne paraft plus dans nos prétendues histoires que pour y subir de nouveaux outrages, et qui ne fut jamais plus puissante et plus féconde qu’en ces jours ou elle apprit 4 tant de fai- bles femmes & mourir comme meurent les martyrs.

Nous devons la communication de cette narration a Ja bienveillance d’une arriére-petite-fille de la duchesse d’Ayen, qui |’a trouvée dans ses papiers de famille, sous le titre de Récit dun témoin. Ce témoin était un prétre de la congrégation de |’Oratoire , M. Carrichon, confesseur de deux des victimes; il est mort sous la Restauration. Il avait rédigé cet écrit 4 la demande de M™* de Lafayette, de Grammont et de Montagu, qui avaient eu jeur ajeule, leur niece et leur sceur immolées dans le méme jour, sans avoir at goate la consola- tion des derniers adieux.

Nous avons scrupuleusement respecté le texte qui nous a été con- fié ; nous n’avions rien a y ajouter, et nous n’avons pas voulu en re- trancher, pour ainsi dire, un mot, maigré la trivialité de quelques ex- pressions. Le mélange de fervente piété et de simplicité famili¢re qui se remarque dans chacune des pages du pauvre oratorien, imprime a son récit le sceau d’une saisissante réalité.

RECIT D'UN TEMOIN. Mesdames la maréchale de Noailles ‘, la duchesse d’Ayen 2

{ Catherine-Francoise-Charlotte deCossé-Brissac, née le 43 janvier 1724 fille unique de Charles-Timoléon-Louis, duc de Brissac, pair de France, et de Catherine Pécoil, marie le 25 février 1737 A Louis, duo de Noallles, pair et maréchal de France, chevalier des ordres du roi, premier capl- taine des gardes-da-corps, gouverneur du Roussillon et de Saint-Ger'- main-en-Laye, laquel mourut le 22 avril 1793.

2 Henrictte-Anne-Louise d’Aguesseau, petite-fille du chancelier de ce

ane, a ae ra eae na ”s tray ce he oh fe,

PENDANT LA TERREOR. . 3

et la vicomtesse de Noailles furent détenues dans léur hétel depuis le mois de septembre 4793 jusqu’en avril 4794. Je con- naissais de vue la premiére et particuli¢rement les deux autres gue je visitais ordinairemeat une fois la semaine.

La terreur croissait avec Je crime; leurs victimes devenaient plus nombreuses, Un jour qu’on en parlait et qu'on s’exhortait 4se préparer & Ja mort, je leur dis, par une espece de pressenti- ment : « Si vous allez a la guillotine, et que Dieu m’en donne «la force, je vous y accompagnerai. » Elles me preanent au mot, ajoutent avec vivacité : « Nous le promettez~vous?» J’ hé- site un moment. « Oui, repris-je; et pour que vous me recon- «naissiez bien, j’aurai un habit bleu foncé et une veste rouge. » Depuis elles me rappelérent souvent ma promesse. Au mois d avril, la semaine, je crois, aprés Paques, elles sont conduites toutes trois au Luxembourg. J'ai souvent des nouvellea par M. Grellet, qui leur a rendu, avec un zéle si délicat, tant de services et dans leur personne et dans celle de leurs enfants. Ma promesse m’est fréquemment rappelée.

Le 27 juin, an vendredi, il vient me prier de rendre au ma- réchal de Mouchy * et 4 sa. femme le service que je leur avais

nom, née le 12 février 4737, mariée le 6 février 4755 & Jaan-Paul-Feap- gois de Noailles, duc d’Ayen,.et depuis duc de Noailles, pair de France, chevalier de la Toison d'or, premier capitaine des gardes-du-corps en survivance de son pére, lieutenant général des armées du rol, fils du maréchal ct de la maréchale de Noailles désignés dans Ia note précé- dente. A la Restauration, il fat appelé & Ja Chambre des Pairs et mourut le 26 octobre 1824 sans postérité mAle. Ll avait eu cing filles : la marquise de Lafayette, la comtesse de Thezan, la marquise de Montagu, la vicom- tesse de Noailles et la marquise de Grammont, qui seule survit encore.

* Anne-Jeanne-Baptisio Pauline-Adrienne-Louise-Catherine-Dominique

de Noailles, née le 41 novembre 1758, fille du duo et de la duchewe

@Ayon désignés ci-dessus, mariée le 49 septembre 1773 4 Louis-Marie, Vieomte de Noailies, second fils da maréchal de Mouchy. (Voir (a note plus fotn.) C'est lui qui proposa l’abolition des titres de noblesse & l'assemblée rationale. fi périt & Pexpédition de Saint-Domingue, en 1804.

* Philippe, comte de Noailies, dac de Mouchy, grand d’Espagne de pre- mitre classe, maréchal de France, cheyalier des ordres du roi et de la

hb e RECIT D’UN SUPPLICE

promis. Je vais au palais, je parviens 4 entrer dans la cour ; je

les ai sous les yeux et de fort prés pendant prés d’un quart

d’heure. M. et M™* de Mouchy ‘, que je n’avais vus chez eux

qu’une fois, et que je connaissais mieux qu’ils ne me connais-

saient, ne peuvent me distinguer. Je fais, par l’inspiration et

avec l'aide de Dieu, ce que je peux pour eux. Le maréchal était

singuliérement édifiant et priait vocalement de tout son coeur. La veille il avait dit, en quittant le Luxembourg, 4 ceux qui lui

marquaient de l’intérét : « A dix-sept ans, j'ai monté a l’as-

« saut pour mon roi; 4 soixante-dix-huit ans, je vais 4 I’écha-

« faud pour mon Dieu. Mes amis, je ne suis pas malheureux. » -

Jévite des détails qui deviendraient infinis. Ce jour-la, je crois inutile et méme ne me sens point capable d’aller jus- qu’a la guillotine. J’en augure mal pour la promesse spéciale faite 4 leurs parentes que leur mort plongeait dans I'affliction et qui habitaient la méme prison ot elles leur avaient fourni bien des motifs de consolation.

Que j'aurais 4 dire sur tous les nombreux convois qui pré- cédérent et suivirent celui du 27 , convois fortunés ou infortu- nés, selon les dispositions de ceux qui les composaient; tou- jours déchirants, lors méme que les caractéres connus et tous les signes extérieurs dénotaient une résignation et une mort chrétienne; mais bien autrement déchirants, lorsque c était tout le contraire, et que les condamnés semblaient passer de lenfer de ce monde a celui de l'autre!

Le 22 juillet, un mardi, féte de sainte Madeleine, j’ étais chez moi, et vers onze heures j’allais sortir ; on frappe, j-ouvre, et-je

Toison d'or, gouverneur de Versailles, etc., le 7 décembre 41745, dé- capité le 27 juin 1794, était second filsd’Adrien-Maurice, duc de Noailles, pair et maréchal de France, grand d’Espagne, chevalier du Saint-Esprit et de la Toison d'or, etc., et de Francoise d’Aubigné, nidce de M™* de Maintenon. I] était frére du maréchal de Noailles, désigné ci-dessus.

Anne-Claude d’Arpejon, née le 4 mars £729, fille unique de Louis, marquis d’Arpajon, et, en qualité d’unique héritiére de cette maison, bailli grand’croix héréditaire de l’ordre de Malte.

PENDANT LA TERREUR. 5

vois les enfants Noailles‘ et leur instituteur *, qui n’a cessé et ne cesse de leur donner tant de marques d’un vrai attache- ment : les enfants, avec la gaieté de leur Age qui couvrait le fond de tristesse que nourrissaient en eux leurs pertes et la crainte d’en faire de nouvelles; ils. allaient se promener et prendre lair de la campagne; I’instituteur, pAle, défiguré , pensif et triste. Le contraste me frappa : « Passons dans votre « chambre, me dit-il ; laissons les enfants dans votre cabinet. » Nous nous séparons ; les enfants se mettent 4 jouer, nous en- trons dans la chambre; il se jette dans un fauteuil. « C’en est « fait, mon ami, ces dames sont au tribunal révolutionnaire. a Je viens vous sommer de tenir votre parole. Je vais conduire « les enfants 4 Vincennes et y voir la petite Euphémie. Dans le « bois je préparerai ces malheureux enfants 4 cette terrible a perte. » Quelque préparé que je fusse depuis longtemps , je suis déconcerté. Toute cette affreuse situation des méres, des enfants, de leur digne instituteur, cette gaieté suivie de tant de tristesse, la petite secur Euphémie , agée alors d’environ quatre

Ceux du vicomte et de la vicomtesse de Noaililes. Ils étaient au nom- bre de trois :

Alexis, depuis comte de Noailles, plénipotentiaire au congrésdeVienne,. ministre d’Etat et député de la Corréze jusqu’en 41834 ;

Euphémie, aujourd’ hui marquise de Vérac ;

Alfred, vicomte de Noailles, tué au passage de la Bérésina, en 1849.

2 M. Grellet, ancien oratorien, qui vit encore. Il s’était ménagé des in- telligences avec les guichetiers du Luxembourg en buvant avec eux. Le 2 juillet au soir, il vit un attroupement devant la porte du Luxembourg : un chariot découvert, 4 bancs suspendus par des cordes aux ridelles, qui servait 4 transférer les prisonniers du Luxembourg 4 la Conciergerie. Le guichetier lui dit : « Elles y sont: va-t’en. » Il les attendit cependant 4 la sortie. La vicomtesse de Noailles le reconnut et lui donna la main au moment de monter sur Je chariot. Il la suivit; et a l’endroit ou la ruede Condé se resserre, comme il était tout 4 cOté du chariot, elle le regarda, et, sans rien dire, fit trois fois le signe de Ja croix sur lui ; il crut y voir Yintention de donner sa bénédiction 4 chacun des trois enfants qu'il soi-_ gnait. Un peu plus loin, un des gendarmes de l’escorte, qui avait remar-_ qué ces signes, l'arréta ; il fut détenu une heure & la Conciergerie, mais reliché sur le vu de sa carte de sdreté.

6 ‘RECTT DUN SUPPLICE

ans; tout se pelnt a mon magination en traits de fea impossibles arendre. reviens & moi & Pinstant, et aprés quelques de- mandes, réponses et autres lugubres détails, je dis : « Partez, «je vais changer d’habits. Quelle commission! Priez Dieu qu’il « me donne la force de l’exécuter. » Nous nous Ievons, passons dans le cabinet’, od nous trouvons les enfants s’amusant inno- cemment, gais, contents, autant qu’ils pouvaient l’étre. Leur vue, ce qu ils ignoraient, ce qu’ils allaient apprendre, |’entre- vue qui suivrait avec leur chére petite seur, ce que nous éprou- vions, rend le contraste plus frappant, me serre le ceur. Je fais borne contenance et les congédie. Resté seul, je me sens épouvanté. « Mon Dieu, ayez pitié d’elles, d’eux et de moi! » Je change d’habits et vais faire quelques courses projetées, avec un poids accablant dans P4me; je m’interromps pour aller av palais entre une et deux heures. Je veux entrer : im- possible. Je prends des informations de quelqu’un qui sort du tribunal, comme doutant encore de Ia réalité de la nouvelle; Fillusion de Pespérance est la derniére détruite; par ce qu'il mne dit, je ne peux plus douter. Je reprends mes courses ; elles me conduisent jusqu au faubourg Saint-Antoine, et avec quelles pensées | Quelles agitations intérieures , quel effroi secret jomt 4 une téte malade! Ayant affaire 4 une personne de confiance, je m’ouvre. Elle m’encourage au nom de Dieu. Pour dissiper le mal de téte, je la prie de me faire un peu de café I] me fait quelque bien.

Je’ reviens' au pulais 4 pas lents, pensif, irrésolu, désirant de ne point arriver ou de ne point trouver céfles qui m'y appellent. J arrive avant cing heures; rien n’annonce le départ. Je monte tristement les degrés de la Sainte-Chapelle. Je me proméne dans la grand'salle, aux environs ; je m’assieds, je me léve, je ne parle 4 qui que ce soit, je cache sous un air sérieux de cul- sants chagrins. De temps en temps un triste coup feel sur la cour pour voir si le départ s’annonce. Je reviens. Ma fréquente exclamation intérieure était : « Dans deux heures, dans une | « heure et demie, elles ne seront donc plus!» Je ne puis ex-

PENDANT LA TERREOR. 2 primer comabien cetie idée, qui m’a affecté toute Ja vie, dans les trap {réquenies et facheuses occasions oii j'ai pu |’ appliquer,. me poursuivait , livré 4 une atiente ausgi douloureuse. Jamais heure ne m’a paru si Jongue et si courte que celle qui s écogle depuis cing jusqu’a six, par divers motifs qui se croisaient, se combatiaient, se détruigaient et me faisaient passer rapide- ment des illusions d'un vain espoir & des craintes malheureu- sement trop réelles.

Eofin , aux mouvements, je juge que la prison va s’ouvrir. Je descends et vais me placer pres la grille de sortie, puisqu’ il; n'est plus possible, depuis quinze jours, de pénétrer dans la cour. La premitre charrette se remplit, s avance vers moi. I y avait huit dames trés-édifantes, sept pour moi inconynues ; la, derniére , dont j étazs fort proche, était la maréchale de Noailles.. De n'y point voir sa belle-fille et sa petite-fille, ce fut un faible et dernier rayon d’espérance ; car, hélas | elles montent aussitét sur la seconde charrette. La vicomtesse de Noailles était en blanc, qu'elle n’avait point quitté depuis la mort de son beau- pére et de sa belle-umitre, ef paraissait agée de vingt-quatre ans au plus; la duchesse d’Ayen semblait en avoir quarante ; elle était en déshabillé rayé bleu et blanc. Je les voyais encore. de loin. Six hommes se placent aprés eljes ; les deux premiers, je he sais comment, 4 un peu plus de distance que l’ordi~ naire, avec un fond d’égards respectueux qui me charme,. comme pour leur laisser plus de liberté. A peine sont-elles placées que la fille temoigne 4 sa mére ce vif et tendre intérét, si conna. J’entends dire auprés de moi’: «Voyez donc cette « jeane, comme elle s’agite! comme elle parle 4 l'autre! Elle « ne parait pas triste.» Je yois quelle me cherche des yeux. 0 me semble entendre tout ce qu’elles se disent: «Maman, J any eat pas. Regardez encore. —~ Rien ne m’échappe; je « vous l’assure, maman, il n’y est pas. » Elles oublient que je leur ai fait annoncer l'impossibilié de me trouver dans la cour. La premiére charrette reste prés de moi au moins un quart @heure. Elle avance. La seconde va passer. Je m’appréte. Elle

8. RECIT D°UN SUPPLICE

passe. Ces dames ne me voient pas. Je rentre dans le palais, fais un grand détour, et vient me placer a l’entrée du pont au Change, dans un endroit apparent.

* Madame de Noailles jette les yeux de tous cétés. Elle passe et ne me voit pas. Je les suis le long du pont, séparé de la foule, cependant assez prés d’elles. Madame de Noailles, tou- jours cherchant, ne m’apercoit pas.

L’inquiétude se peint sur la physionomie de madame d’ Ayen, sa fille redouble d’attention sans succés. Je suis tenté d’y re- noncer. « J'ai fait ce que j'ai pu, partout ailleurs la foule sera «plus grande; il n'y a pas moyen, je suis fatigué. » J'allais me retirer. Le ciel se couvre, !le tonnerre se fait entendre au loin. « Tentons encore. » Par des chemins détournés j’arrive dans la rue Saint-Antoine, apres la rue de Fourcy, presque vis- a-vis la trop fameuse Force, avant les charrettes.

' Alors souffle un vent violent, l’orage éclate, les éclairs, les coups de tonnerre se succédent rapidement. La pluie commence, c'est un torrent; je me retire sur le seuil d'une boutique qui m’est toujours présente et que je ne vols jamais sans attendris- sement. En un instant la rue est balayée. Personne, si ce n'est aux portes, boutiques et fenétres. Plus d’ordre dans la mar- che ; les cavaliers, les fantassins vont plus vite, comme ils peu- vent, les charrettes aussi ; elles touchent au petit Saint-Antoine et je suis encore indécis. _

La premiére passe devant moi; un mouvement précipité et comme involontaire me fait quitter la boutique, m’entraine vers la seconde, et me voila seul tout prés de ces dames. Madame de Noailles m’apercoit, et, souriant, semble dire : « Vous voila donc « enfin! Ah! que nous en sommes aises! Nous avons bien cher- « ché. Maman, le voila! » Madame d’Ayen renaft. Toutes mes irrésolutions cessent. Je me sens par la grace de Dieu un cou- rage extraordinaire. Trempé de sueur et de pluie, je n'y pense plus, je continue & marcher prés d’elles. Sur les marches de Véglise Saint-Louis, j’apercois un ami pénétré pour elles de respect et d’attachement, cherchant 4 leur rendre le méme

PENDANT LA TERREUR. 9

service. Son visage, son attitude, annoncent tout ce qu'il sent en les voyant. Je lui frappe sur l’épaule avec un saisissement inexprimable. « Bonsoir, mon ami. » La est une: place, plu- sieurs, rues y aboutissent. L’orage est au plus haut pomt, le vent plus impétueux. Les dames de la premiére charrette en sont fort tourmentées, surtout la maréchale de Noailles. Son grand bonnet renversé laisse voir quelques cheveux gris; elle chancelle sur sa misérable planche sans dossier, les mains liées derri¢re le dos. Aussitét un tas de gens, qui se trouvent la malgré la pluie battante, la reconnaissent, ne font attention qu’a elle, et augmentent par leurs cris insultants son tourment, quelle supporte avec patience. « La voila donc. cette maré- « chale, menant autrefois un si grand train, allant dans de ‘si « beaux carrosses, dans Ja charrette tout comme les autres! » Les cris continuent. Le ciel est plus noir, la pluie plus. forte. Nous arrivons 4 la place ou carrefour qui précéde le faubourg Saint-Antoine. Je devance, j’examine, et je me dis: « C’est ici «le meilleur endroit pour leur accorder ce qu’elles désirent a tant. » La charrette allait moins vite; je m’arréte, je me re- tourne vers elles. Je fais 4 madame de Noailles un signe qu'elle comprend parfaitement. « Maman, M. C... va nous donner l’ab- © « Solution. » Aussitét elles baissent la téte avec un air de re- pentance, de contrition, d’attendrissement, d’espérance et de piété qui m’embaume. Je léve la main, reste la téte couverte, et prononce la formule entiére de ]’absolution, et les paroles qui la suivent, trés-distinctement et avec une attention surnaturelle, Elles s’y unissent mieux que jamais. Je n’oublierai de ma vie ce ravissant tableau, digne du pinceau de Raphaél, aprés le- quel tout ce qui vient n'est plus que consolation.

Dés ce moment, l’orage s apaise, la pluie dimimue; il semble navoir éclaté que pour le succés si désiré de part et d'autre. Jen bénis Dieu; elles en font autant. Leur extérieur annonce contentement, sérénité, allégresse. En avancant dans le fau- bourg, la foule curieuse revient, horde les deux cétés, insulte les premiéres dames, surtout la maréchale, ne dit rien aux deux

40 . RECIT D'CN SUPPLICE autres. La pluie cesse. ‘Fantét je devance, tantét j aecompagne. Aprés l'abbaye Saint-Antoine, japerqvis auprés de moi un jeanc. horame; je Favais comra autrefois. J’étais prétre; quel- ques motifs me le faisaient suspecter. Je m/embarrasse. Crai- gnuant den étre reconnu, je rétrograde. Heureusement i} ne me reconzait point; il double le pas, et je ne le vors ptus.

Enfin nous arrivons au lieu fatal‘, Ce qui se passe en moi ne peut se peindre. Quel moment! quelle séparation! quelle dou- isur danseles enfants , dans les swurs et dans les parents qui deur survivront! Je les vois encore pleines de santé; elles au- raient été gi nécessaires 4 leurs familles!... Et dans un instant je ne les verrai plus..... Quel déchirement, mais non sans de grandes consolations, en les contemplant si résignées !

L’échafaud se présente, les charrettes s:arrétent. Je fris- sonne. Les cavaliers et les fantassins l’entourent; ensuite un cercle plus nombreux de spectateurs, la plupart riant et s’amu- samt de ce désolant spectacle. Etre au milieu d’eux, sans leur ressembler, quelle situation! J’aperrois le mattre bourreau et deux valets, dont il se distingue par la jeunesse, la petite taille, l'air d’wn petit mattre manqué et le costume. E’un des valets est remurquable par sa haute stature, son embonpoint, fa rose qu'il porte a la bouche, Yair de sang-froid.et de réflexion avec lequel il agit, ses manches retroussées, ses cheveux ett queue, noms, crépus; enfin une de ces physionomies réguliéres et frappantes, quoique sans élévation, qai ont pu servir de mo- dties aux grands peintres quend ils ont représenté des bour- reaux dans l'histoire des martyrs.

Il faut le dire, soit par un fond d’humanité, soit habitude et désir d’avoir plus tét fait, le sapplice était adouci par leur’ promptitude, leur attention & descendre tows les condamnés avant de commenter, 4 Jes placer le dos 4 l’échafaud de ma- “mibre qu’'ils ne pussent rien voir. Je leur en sus. quelque gré, : aimsi que de la décence qa’ie observaient et de lear sérieux, - sane aucun air riant oi insaltant, tout le temps que je fus hk. “© & lebarriére duTrone. | :

PENDANT LA TERREUR. Ag

Peadant qu'ils aident 4 -deseendre-les dames de Ja premitne charretie, madame de Noailles me cherche des yeux; elle m’ae percoit. C'est ici le pendant ravissant de ce premier tableay rayissant aussi. Que ne me dit-elle pas par ses regards, tantht éevés au ciel, tantit abaisaée vers Ja terre! ses regards si doux, si anunés, si -expressifs, si célestes, tantht fixés sur moj de mae niére & me faire distinguer, si mes voisins evaient en plus d'attention! J’enfonce mon chapeau sans la perdre de-vue, Je lentendais dire : « Notre sacrifice est fait. Que naus laissons de « persannes chéres! Mais Dieu, dans sa miséricorde, nous ap- - « pelle. Nous ep avons la ferme et douce espérance. Nous ne les « owblierons point. Recevez nas tendres adieux pour elles, nog « remeroiements pour vous. désus-Christ., qui est mort pour «nous, est notre force. Puissions-nous mourir en lui! Adieu, « Puissions-nous nous revoir dans le ciel! Adieu. »

Hest impossible de rendre des signes aussi pieux, aussi vifs, d'une éloquence apssi teuchante, qui faisaient dire 4 mes voi- sins; « Al! cetle geunt, comme elle est contente! comme elle « léve les yeux au ciel! comme elle prie! Mais a quoi ca hui sert- «2/2 » Puis, par réflexion : « At! les scélérats de calotins! » Le dernier adieu danné, elles descendent.

Je ne me sentais plus; j’étais 4 la fois déchiré, attendri et consolé. Combien je-remerciai Dieu de n’ayoir pas attendu ce moment pour leur danger ]’ absolution, encore plus quand elles montérent 4 ]'échafaud! Nous n’aurions pu nous unir en Dieu pour accorder ou recevoir cette grande grace, comme nous avions fait dans']’endroit et la circonstance les plus tranquillgs qui se soient présentés dans la route!

Je quitte l'endroit ot j’étais ; je passe d'un aptre coté. Per- dant qu'on fait descendre les autres, je me trouve en face de lescalier en bois par oi: on monte & I’échafaud, et sur lequel était appuyé un vieillard en cheveux ‘blancs, grand, gros, J air d’un bon bomme. On le disait fermier général. Auprés de lui, une dame trts-érdifiante que je ne conndissdis pas. Ensuite ja

maréchale de Noailles vis-i-vis de moi, en taffetas noir, a-cauge

42 RECIT D'UN SUPPLICE

du deuil du maréchal qu'elle n’avait point encore quitté; elle était assise sur un bloc de pierre ou de bois qui s'était trouvé lk, de grands yeux fixes. Je n’avais point oublié de faire pour elle ce que j’avais fait pour tant d’autres, et en particulier pour son beau-frére et sa belle-sceur. Tous les autres, sur plusieurs lignes, étaient rangés au bas de |’échafaud, du cdté qui regar- dait, je crois, Pouest ou le faubourg Saint-Antoine.

ge cherche ces dames; je ne peux apercevoir que la mére (la: duchesse d’Ayen), mais dans |’attitude d’une dévotion sim- ple, noble, résignée, tout occupée du sacrifice qu’elle allait.of- frir 4 Dieu par les mérites du Sauveur, son divin Fils, les yeux fermés, plus ]’air inquiet; en un nfot, telle qu'elle était lors- qu'elle avait le bonheur d’approcher de la table sacrée. Quelle impression j’en recus! Elle est ineffacable. Je me la représente souvent dans cette attitude. Plit 4 Dieu que j’en profitasse! A cette vue, qui est comme un parfum, me revient aussitét & l'idée un passage de cette belle lettre des églises de Vienne et de Lyon sur le martyre de saint Pothin et ses compagnons, ot il est dit, en parlant de sainte Blandine, attachée 4 un poteau et exposée aux bétes : « Ses compagnons croyaient voir en la personne de « leur sceur celui qui avait été crucifié pour les sauver. »

Tous sont descendus. Le sacrifice va commencer. La joie, le bruit, les quolibets des spectateurs redoublent et accroissent le supplice, doux en lui-méme, mais atroce par trois coups qu on entend l'un aprés l'autre, surtout par la quantité de sang versé et par cette joie bruyante et tigresse. Le bourreau et ses valets montent, arrangent tout. Le premier se revét, sur ses habits, d'un surtout ensanglanté, se place 4 gauche al’ ouest ; les autres

“& droite, A) est, regardant Vincennes. Son grand valet est prin- cipalement l'objet des admirations et des éloges par son air ca- pable et réfléchi, comme ils disent.

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Tout étant prét, le vieillard monte le premier a l'aide des ~

‘-bourreaux. Leur maitre, quand il est sur ]'échafaud, le prend par le bras gauche, le grand valet par le droit, l'autre par les jambes. En un clin d’ceil il est couché sur le ventre; l’instru-

PENDANT LA TERREUR. > ment tombe, la téte est séparée, jetée ensuite, le corps tout habillé, dans un vaste tombereau peint en rouge, ot péle-méle tout nage dans le sang. Car c'est toujours de méme. Quelle horrible boucherie! Gomme le ceur bati C’est &4 ce moment qu’on voudrait étre loin; c'est 4 ce moment qu’on voudrait étre prés et monter tout de suite si on était préparé & paraitre de- vant Dieu, tant la mort, atroce pour ceux qui restent, paralt douce et facile & ceux qui s’en vont bien disposés, quand on songe aux circonstances ou il faut vivre. Combien j'ai regretté de n’avoir pas suivi ces victimes en pensant que plus on avance, plus on abuse des graces divines qu’on regoit!

La maréchale monte la troisiéme. I] fallut échancrer le haut de son habillement pour lui découvrir le col. Impatient de m’en aller, je voulais avaler le calice jusqu’a la lie et tenir ma parole, puisque Dieu me donnait la force de me posséder au milieu de tant de frissonnements. Six dames passent ensuite. Madame d Ayen monte la dixiéme. Qu’elle me parut contente de mourir avant sa fille, et la fille de ne pas passer avant sa mére! Montée, le maitre bourreau lui arrache son bonnet; comme il tenait par une épingle qu’il n‘avait pas eu l'attention d'dter, les cheveux soulevés et tirés avec force lui causent une douleur qui se peint dans ses traits. La mére disparait, et sa digne et tendre fille la remplace. Quelle émotion en voyant cette jeune dame tout en blanc, paraissant beaucoup plus jeune qu’elle n’ était, semblable 4 un doux et petit agneau qu'on va égorger! Je croyais assister au martyre d'une de ces dignes et jeunes vierges ou saintes femmes, telles qu’elles sont représentées dans les tableaux de quelques grands peintres. Ce qui est arrivé 4 sa mére lui arrive. Méme inattention pour I’épingle, méme douleur, méme signe, et aussitét méme calme, méme..... mort!

Quel sang abondant , vermeil sort de la téte, du col! « Que «la voild bien heureuse! » m’écriai-je intérieurement, quand on jeta son corps dans cet épouvantable cercueil. Je m’en vais, Mais je suis arrété un moment par l'air, les traits, la taille de celui qui yenait aprés elle. C’était un homme de 5 pieds 8 &

ik RECIT DUN SUPPLICE

9 pouces, gros & proportion, d'une figure trés-imposante. Je l'avais remarqué au bas de léchafaud. Il sen était éloigné pendant qu'on immolait les autres, afin de voir ce qui s'y pas- sait. Sa taille baute avait: servi sa curiosité. Il monte avec fer- meté, jette sur les bourreaux, le lit et instrument de mort des regards intrépides, trop fiers peut-ttre. « O mon Dieu, faites « qu'il n'y ait en lui que Christianisme, et non la seule philoso- a phie! »

L’ homme dont je viens de parler était Gossin ou Gossuin, qui a tant contribué, comme député, 4 diviser la France en dépar- tements. J’ai entendu dire qu'il avait de la religion, et que ses malheurs et sa prison en ayaient ranimé, fortifié tous les senti- ments dans lesquels il y a tout lieu d’espérer qu’il a fini sa vie.

Aprés sa mort je quitte Ja place tout hors de moi-méme; je mn’ apercois alors que je suis tout glacé, & cause d'une forte trans- piration et d’une forte pluie que j’avais éprouvées et qui s'é- taient séchées. Mais, grace 4 Dieu, je ne me sentais point incom- modé. Je double le pas, tout rempli de ce déchirant, mais bien beau, bien grand, bien touchant, bien consolant spectacle. Je . répétais ce que j'ai répété souvent : « Non, je ne voudrais pas « pour cent mille écus n’en avoir pas été témoin. Je n'ai rien va « qui approche de cela. Que de profits 4 en tirer! »

Quand je quiitai il était prés de huit heures. En vingt minutes on avait fait descendre quarante ou cinquante personnes, et im- molé douze. ,

Bientét je suis 4 la rue Saint-Antoine. Je monte dans une maison 00 logeait une respectable famille de ma connaissance, composée du mari, de la femme, et d'un fils unique charmant d'enyiron quatre ans. « Vous voila! D’ow venez-vous si tard, si

« loin dechez vous? Ah! je yiensd'étre témoin d'un spectacle « aprés Jequel nous sommes les plus insensés des hommes et les « plus grands ennemis de nous-mémes si nous n’en profitous pas « pour travailler plus fortement 4 notre salut. » J’entre ensuite dans les détails qui, en produisant leur attendrissement, renow- vellent le mien. J’y soupai et me retirai fort tard. La nuit fut

PENDANT LA TERREUR. 415 trés-agitée; un sommeil entrecoupé ou accompagné de tout ce que javais vu ou entendu. La fatigue, que javais peu sentie, se fit sentir les jours suivants, mais, Dieo merci, sans indispo- sition. J’étais tout attendri, tout embaumé : « Que mon ame «vive de lx viedes justes et qu'elle meure de leur mort! » tel &ait mon cri fréquent. .

Pendant longtemps la pensée de cet événement a produit en moi un certain frémissement, une espéce de frisson involontaire, surtout lorsque je passais dans ces endroits si temarquables par ce que j'y avais vu ou fait. Ce frémissement venait de ce que cette pensée était accompagnée d’une autre sur leur bon- hear, en opposition avec le vide qu’elles avaient laissé, la perte que nous avions faite , la séparation et dispersion de leur famille si chére, les dangers et les malheurs toujours renaissante ot nous Vivions.

Le vendredi suivant, 25 juillet, je dtnais chez deux amis. Aprés le diner, nous nous livrions 4 d’intéfessants épanche- ments, qui, maigré tous les accents de la tristesse, nous parais- ssent si doux par les réflexions et consolations qui s’y mé- lent, par la sage liberté qui y régnait dans une crise of tout | était licence ou servitude, au point de craindre, pour ainsi dire, que les murs ne parlassent. A cing heures du soir on frappe, et je vois entrer ]’ami qui m’avait déja averti deux fois: « Qui vous « améne ? Je vous cherche depuis deux heures. Désespérant «de vous trouver, 4 tout hasard je suis venu ici. Pourquoi? « Pour vous engager 4 rendre aux tantes des enfants!, qui « étaient détenues au Plessis, le méme service que vous avez «rendu A leurs méres. Elles vont partir pour !’échafaud. « Ah! cher ami, que demandez-vous encore! Je connais peu «ces dames, et il n’est pas sir qu elles me reconnaissent et que « je les reconnaisse moi-méme. »

Je combats, il insiste, mes amis se joignent 4 lui. Je céde et reprends ce triste et si triste chemin du palais; il est temps, les

4 La marquise de Lafayette, sceur de la vicomtesse de Noailles et la dochesse de Duras, sceur du vicomte de Noailles.

ce a

46 RECIT D'UN SUPPLICE, ETC. premiéres charrettes sortent, s'arrétent en attendant les der-

niéres, Sur la premiére étaient des dames; je n’en reconnais

aucune. J’examine, considére, tourne, retourne : « Non, ou je. « suis bien trompé, les chéres tantes n’y sont point, grace a « Dieu! » Cependant, pour ne rien omettre, j’interroge des spec- tateurs bien instruits, et, avec la douleur que me causent les inconnues, j'ai ja joie de n'y point trouver celles que je viens chercher.

Dieu voulait les conserver pour étre utiles encore a leurs fa- milles, qui les respectent et les aiment tant et avec tant de rai- son, me procurer !’avantage de les connaitre d'une manitre aussi particuliére que celles dont la vie et la mort mont tant édifié, et me faire trouver dans leur connaissance ce que j’avaig perdu dans les autres.

Puisse Dieu, tout-puissant et tout miséricordieux , répandre sur leurs familles toutes les bénédictions, et nous réunir tous, avec celles qui nous ont devancés, dans ce séjour ot il n'y aura plus de révolutions, dans cette patrie qui aura, comme dit saint Augustin, la vérité pour roi, la charité pour loi, et pour mesure |'éternité!

BIOGRAPHIES CONTEMPORAINES.

LE BP. LACORDATRE,

(Suite. )

L’imagination libérale de l’abbé Lacordaire était conquise; il al- lait étre, avec plusieurs catholiques d’élite, ]’un des plus brillants satellites de I’astre redoutable qui l’entrainait aprés lui dans son orbite. Il y avait peut-étre alors quelque danger et quelque honneur a rester en France: il resta.

Nous nous sommes étendu volontiers sur M. Lacordaire, jeune, obscur et & peu prés inconnu. Nous ne nous sommes pas lassé de le peindre dans la naiveté de ses impressions, de ses sentiments, de ses propres paroles; car, 4 notre sens, homme mir est contenu tout entier dans sa jeunesse, comme le fruit dans sa fleur.

Désormais , ]’abbé Lacordaire a un role sur Ja scéne de la religion et de la politique ; nous passerons plus rapidement sur les faits con- nus, sur les doctrines jugées, sur les ceuvres et les choses imprimées, bous contentant d’apprécier le plus bri¢vement possible ce qui aboutit plas directement 4 |’auteur des Conferences.

La révolution de Juillet, pour avoir renversé le tréne de France, tenait I’Europe et le monde-en suspens.

M. de Lamennais, qui avait autrefois défendu la monarchie absolue avec la méme ardeur excessive qu’il apporta depuis 4 la cause dé- mocratique, crut le moment venu d’annoncer hautement aux peuples le régne de la liberté religieuse et de la liberté politique, et de hater le triomphe de ces deux idées l’une par I’autre.

I] avait remarqué depuis longtemps que l'histoire de la royauté francaise des derniers siécles montrait la religion chrétienne s’alliant a la cause royale par des embrassements étroits et serviles. Les es-

* Voir le Correspondant, t. XVII, p. 812.

48 LE R. P. LACORDAIRE.

prits superficiels et sceptiques tenaient donc en France le Catholi- cisme pour complice nécessaire de ]a monarchie dans ses conflits heu- reux ou malheureux avec les institutions nouvelles. Ainsi la cause de Dieu, la cause éternelle, se trouvait misérablement liée a une querelle humaine, 4 une forme sociale qui passe.

Il sembla urgent 4 M. de Lamennais de répudier une si funeste so- lidarité. Il jugea que la révolution politique de 4830, ex brisant une couronne antique, avaft aussi df briser les vieux fapports du pouvoir religieux et du pouvoir civil, affranchir ]’Eglise des dures étreintes de la suprématie laique. I] voulut l’Eglise aussi hbre que 1]’Etat. Il prit . en main la cause des peuples catholiques contre les rois, les minis- tres, les magistrats, les hérétiques et les incrédules.

Mais d’immenses et brilantes questions allaient étre soulevées par cette polémique. Cen’était pas la premiére fois que M. de Lamennais abordait, avec l’agressive éloquence et Ja dialectique passionnée du tribun religieux , la profonde et presque inextricable théorie des rapports de I’Eglise et del’Etat. I] fallait secouer a la fois, pour les rom- pre, tous les liens qui attachaient le clergé francais au gouvernement; il fallait remettre, avant tout, en litige la doctrine des concordats, la nomination des évéques, le budget du clergé.

Et en quel moment encore tant d’agitations doctrinales allaient-elles étre provoquées? Au moment oi I’Irlande catholique s’agitait puis- samment, ou la religieuse Belgique s’affranchissait, ot le Rhin trem- blait, of I'ltalie remuait, ou la Romagne était en feu, ou I’héroique Pologne se réveillait pour mourir, ou Ia paix et la guerre du monde entier étaient, pour ainsi dire, livrées 4 un hasard !

I] est plus facile, aprés dix-sept années, de mesurer froidement et équitablement Ia position critique de 1830, et de rendre justice 4 la prudente prévoyance des uns, sans accuser la témérité courbes des autres.

On comprend aujourd’hui que les hommes de gouvernement , que les vieux évéques et les vieux prétres, blanchis et meurtris par les ré- volutions, ayant plus de connaissance et plus de défiance des hommes, ne se précipitassent point volontairement dans les hasards ane tempéte universelle.

"Mais on comprend aussi ce que méritent de sympathie, et, s’il en était besoin, d’élogieuse indulgence, les hommes ardents ou jeunes, généreux ou forts, qui se mettaient les premiers en avant au jour de

LE R. P. LACORDAIRE. 19

ja bataie : pareils 4 ces belliqueux et aventarenx tirailleurs qui se font luer avant que le combat régulier soit esgags.

U) serait ingrat d’oublier que plusieurs des hommes éminents qui se portérent alors au feu, peutrétre avant le temps, avant l’ordre, avec une énergique audace , sont encore les mémea dont les entrailles sémeuvent apjourd’hui pour la sainte cause de la Liberté religieuse, de la conscience, et dont les paroles et les