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LES

VRAIS PRINCIPES

DE

LA LANGUE FRANÇOISE.

LES

VRAIS PRINCIPES

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LA LANGUE FRANÇOISE, O u

LA PAROLE

RÉDUITE EN MÉTHODE,

C o N F o R M E' M E N T

Aux Lois de l'Usage^ EN SEIZE DISCOURS;

Par. m. lAbbè Gl RARD y de l'AcadÉmis:

Françoise, et Secrétaire-Interprète

nu Roy,

TOME PREMIER.

A PARIS,

Chez Le Breton , Imprimeur ordinaire du ROI, rue de la Harpe , au Saint- Efprit.

M. Dec. XLVII. AFEC APROBATION ET PRIVILEGE DU ROh

K ^-i^^

PREFACE.

IL me paroit que pour bien con- noitre le mérite des ouvrages fyftématiques il faut en fuivre exac- tement l'ordre & le plan , en les li- fant du commencement à la fin fans rien omettre. Cette m^axime efl: d'autant plus effencielle à l'égard de celuici que fes parties , quoiqu'en aparence détachées les unes des au- tres par leurs titres , font néanmoins un Tout très m.éthodique j l'on évite les répétitions , & parcon- féquent ce qui précède ell nécef- faire pour Tintelligence de ce qui fuit. Qui ne fe conformeroit pas à lamarchede l'Auteurpourroit trou-

ai)

jv PREFACE.

ver obicur ce qui eft expliqué avec clarté & précifion : & qui exerce- roiî fa critique fur quelquesuns de ces Difcours fans avoir vu les autres courroit rifque de porter un juge- înent fujet à réforme. Comme les premiers jettent de la lumière fur ceux qui viennent enfuite , ceuxci à leur tout apuient les précédens par les liens de la connexion , & leur donnent une force qui en affermit la vérité en montrant combien les fondemens tiennent au refte de l'é- difice. Ajoutez à cette raifon celle de la nouveauté du fyfteme ; non par raport à fa réalité , car étant celui de la Langue il a toujours fub- fîfté avec elle , mais par raport à fa manifeftation , puifqu'il n'a pas encore été dévelopé aux yeux du Public. Maintenu dans la pratique

PREFACE. V

il a été négligé dans la (péculation : & fans Tapercevoir on ne s'en efl: pas moins conduit par fon influence- On le préfente ici tel qu'il s'eft fait voir quand on a levé le voile de la Latinité , fous lequel il étoit caché & enfeveli ou du moins obfcurci & défiguré. Pour n'en pas altérer la beauté naturelle y on s'eft impofé la loi de ne point faire abus des ter- mes. C'eft pourquoi on n'a pu fe foudre à conferver une idée dé- fectueufe ni une expreflion impro-. pre par attachement à la première éducation : alors on n'a point héfité à fubitituer un autre terme à celui qu'on avoit pris dans le Collège: on s'eft mis hors de la férule des précepteurs : & l'on s'eft livré à toute l'élévation & la liberté d'ef- prit qu'infpire la belle Litérature. Le

aiij

vj PREFACE.

neuf qu'on a été obligé de répandre en divers endroits pour ne pas tra- hir le vrai exige donc , également comme le fil de la méthode , une lefture entière & fuivie ; fi l'on veut fe la rendre utile & gracieufe ou fe mettre en état de rendre juftice à l'ouvrage. Point de décompofition : voilà toute la grâce qu'on demande. Durefte que le Lefteur ufe de tous fes droits; qu'il aprouve, qu'il blâ- me^ il efl: juge de tout ce qu'il a fous les yeux. Quant au travail , on ofe aflurer qu'on ne s'y efl: pas per- mis la moindre négligence: qu'on a creufé & aprofondi la matière au- tant qu'il convenoit pour établir des règles générales , des principes confl:ans & fimpies , aplicables à toutes les circonfl:ances de Tufage : en quoi confifl:e le devoir de la

PREFACE. vlj

Grammaire : qu'on a pourtant évité de defcendre dans ces petits & me- nus détails qui font du partage des Diftionnaires ; chaque mot par- ticulier a droit d'avoir une place auffi fjDacieufe que l'exige la diver- fîté de fon acception & de ks em- plois. Les difficultés n'ont pu triom- pher de la patience dans les peines qu'il a falu fe donner pour la per- fection de l'art & pour en rendre l'étude facile. On a auffi tâché de diminuer les defagrémens ordinaires de ce genre de litérature par la ma- nière de le traiter. Les exemples n'y font point entaffés uniquement pour faire naître des doutes & formerdes difficultés fans qu'il en réfulte ni dé* cifion ni règle fixe : ils y font pla- cés à propos pour confirmer les principes qu'on établit ou les raifons

yiij PREFACE. qu'on donne de l'ufage. Enfin on a eu attention à ne point donner dans la vanité de vouloir paroitre fa voir autre chofe que ce dont on écrit : & l'on ne s'eft propofé d'autre me- fure pour le volume & le nombre & la longueur des Difcours que la jufte étendue du Sujet.

^hfie in docirinls verhum aut otlofum

eut ohjcurum ; Jicut & in colloquiîs aut damnofum aut obfccnum.

l^

TABLE

DES DISCOURS

DE CE Premier Volume»

I. /^^ Ul expofi toutes les définU

Disc. \^^ tlons préliminaires & le plan giniraL P^gS ^

II. Disc. les mots font rangés fous des ejpeces , & ces efpeces fixées & définies par le firvice que Vefprit humain leur a départi afin qtUil pût trouver dans la Parole tous les moyens propres à énoncer ce qu^il penfe, ^I

m. DiSO. Sur la conjlruciion ou Syntaxe générale; dans lequel lafrafe & le ré- gime font exactement analyfés, 82

ÎV. Disc. De V Article y première partie d^oraifon , c^efi à dire la première des différentes efpeces de mots concourant à Van de la Parole, 1^2

Y. Disc. Du Subjlantify fcconde partie doraifon^ 2.17

yi. Disc, Du Pronom ^ troijîemc partie.

d'oraifon, 283

VU- Disc. De fJdje&if, quatrkme par^

tic d'oraifon^ 36 J

E RRA TA du premier Volume.

CE: Errata fait avec foin eft une preuve d^ l'attention ôc de l'exactitude du Correéèeur, Il n'eft point de Livre qui n'aie davantage de fautes : & fi on vouloit les marquer toutes com- me on fait ici, on groflîroit sûrement leur volume.

Fautes* CorreElions,

Pag, 6i. /. S. antogoniftes. antagoniltes. 72. /, 22, promptement. promtement.

îi8. L îS» ou on.

2j^. /. j;. de des.

247. /. 2z. fçauroir. . . » fauroit.

Jhid, circoftanciel. circonlkncieU

2/p. /. 27, inftcfle. , . . juftfefle. 261, L s* efclavon. . . . Ëfclavon.

162, L 2/. on. .... . ou.

^5p. L 3, fuperieur. . . . fupérieur,

^6S' l' 23' Durante. . . . Durance.

402. /. 2. toutes toute.

Partout d'autant fe trouve avant un compara- tif comme plus ou mieux fupléez un apollrophe après d' s'il y manque. Unifiez aulîi en un leul mot les adverbes demême dumoins aulieu qu'on a , quelquefois féparés en deux. Quant à la ponc- tuation il ne s'y trouve qu'une feule faute.

LES

LES VRAIS PRINCIPES

D E

LA LANGUE FRANÇOISE: O U

LA PAROLE

RE'DUITE EN ME'THODE,

Conformément aux Loix de l'Ufage.

L DISCOURS,

Contenant- les définitions générales i le plan de r ouvrage , & les préli- minaires nécejffaires pour connoitre parfaitement Vart de la Parole,

I les Hommes dévoient vivre dans la folitude , continuelle- ment réparés les uns des au- tres ; il leur fuffiroit de pen- fer : mais étant faits pour la fociété , fans Tome L A

2 Les rRAis Principes

cefle occupés d'affaires ou de befoîns communs ; il faut néceffairement qu'ils parlent. Voilà pourquoi la Nature, atten- tive à pourvoir aux moyens propres à fes fins , leur a donné une facilité mer- veilleufe à varier les modifications de leur voix ; afin qu'en formant des mots & y attachant des idées , ils puffent aifé- ment fe communiquer leurs penfées , & nouer entre eux des habitudes également utiles & agréables.

La Parole eft donc le lien de la vie ci- vile le plus univerfel, le plus naturel , & le plus gracieux ; par conféquent la chofe qui mérite le plus d'être l'objet de fes propres exercices ; furtout chez une na- tion polie & dominante , la liberté d'en faire ufage ne fut Jamais contrainte que par les règles de la Raifon. C'eil: uni- quement à cette raifon pure & dégagée de préjugés que je confie la conduite de mon travail. Sans manquer d'eftime pour les Auteurs qui m'ont précédé en ce gen- re, je n'en confulterai néanmoins aucun ;

DE LA Langue Françoise, 3

la Nature & l'Ufage font les leiils guides que je me propofe. De forte que fi je dis quelque chofe de neuf; ce ne fera point afFedation ; le fujet me l'aura fourni : je répète ce qui a été dit ; ce ne fera point imitation ; je l'aurai penfé commue les autres. J'en ufe ainfi ; parceque j'ai remarqué que l'influence de l'Autorité ÔC l'habitude de copier étoient de grands obilacles à la perfeûion des Arts &: des Sciences. Je doute même que , pour par- venir à cette perfedlion, il y ait une au- tre route que celle qui a toujours le fujet pour bouffole : c'eft, ce me femble , de fa préfence immédiate que partent les imprefîions les plus vives & les plus exaftes : dès que l'Auteur en détourne les yeux , pour confulter à^s tableaux d'une autre main , ne court-il pas rifque de fubftituer , dans ce qu'il fait , les infi- délités d'une copie aux traits réels de l'original ?

A l'égard de la méthode , comme il n'eft pas douteux que celle qui commen-

Aij

4 Les vrais Princites ce par des notions claires , fur lefquelles elle fonde des principes certains , dont elle tire enfuite des conféquences juftes & invariables , ne foit la plus propre à rencontrer le vrai ; j'en fuivrai le iîl dans tout le cours de cet ouvrage , fans don- ner néanmoins dans la fécherefîeduplan purement dogmatique. Je ne me refufe- rai point aux reflexions & aux ornemens proportionnés à mon fujet ; d'autant plus qu'il eft à cet égard d'une extrême mo- deftie , n'en permettant ni la quantité ni le grand éclat. Tel eil le propre de tout ce qui fait coniiiler fon fublime dans le Vrai : le ilile fimple en foutient bau- coup mieux la dignité que le ilile bril- lant ; parceque la nature efl belle l'art eft inutile. Mais fi les parures. ne font ici que d'un médiocre avantage ; il n'en eft pas demême de la netteté, de l'ordre , & de l'exaditude : le fujet les exige dans le dernier degré ; il faut que l'expofition en foit claire , la conduite commode, & le détail expliqué dans

DE LA Langue Françoise. 5

toute fon étendue quoiqu'avec précifion.

Je ne faurois donc mieux entrer en matière que par des définitions faites avec foin , en commençant d'abord par celle de la Parole ; qui , comme objet de mon travail, doit marcher la première , me conduire par la liaifon des parties & la fuite des conféquences jufqu'au der- nier période de l'ouvrage.

La Parole eft la manifeftation de la penfée par le fecours des mots.

La Pensée nait de l'union des idées.

Les Idées font les fimples images des chofes : mais étant intérieures & fpiri- tuelles 5 il a falu , pour les faire paroitre au dehors , leur donner des corps : ce qu'on a exécuté par l'établiflement des mots ; auxquels on les a unies , pour qu'elles en foient l'ame & faffent effet fur l'efprit partout ceuxci le font fur les fens extérieurs.

L'effence du Mot confifle à être une voix prononcée propre à faire naitre une idée dans l'efprit : ôc cette propriété

Aiij

6 Les vrais Principes

cfl ce qu'on nomme valeur}, fans laquelle il ne feroît qu'un fon matériel machina- lement prononcé.

La Valeur eft donc , en fait de mots , l'effet qu'ils doivent produire fur l'efprit, c'eft à dire la repréfentation des idées qu'on y a attachées : ce qui dépend de rinilitntion , foit commune par un ufage ordinaire , foit particulière par une fu- pofition bien expliquée.

De l'affemblage méthodique des mots fe forme le Discours ; dont les varié- tés produifent les différens fliles.

Le Stile efl une façon de s'exprimer, portant un cara6lere émané ou de la qualité de l'ouvrage ou du goût perfon- nel de l'auteur. Ce caradere réfulte du tour de la penfée , du choix des mots , & <le l'arrangement refpedif de toutes les parties qui compofent le difcours.

Quant à la Voix, elle n'eft autre chofe..que l'air de la refpiration rendu fonore ; effet mécanique , produit par le trémouffement des cartilages du Larinx

T>E LA Langue Françoise: 7

fitués à l'extrémité de la Trachée-artere, En s'échapant au dehors , elle reçoit dif- férentes modifications, toutes comprifes fous deux efpeces générales ; l'une le Chant , l'autre la Prononciation.

Lorfque la voix efl: fimplement modi- fiée par les modulations mefuréesdu go- fier ; elle fait le Chant , qui. caufe dans l'ame une fenfation , en change quelque- fois l'état 5 & en remue les pafTions.

La Prononciation confiile dans cette modification que la voix reçoit des parties de la bouche , foit par les fitua- tions qu'elles prennent pour lui former un pafTage , foit par les mouvemens dont elles l'agitent au moment qu'elle pafTe. Ainfi la Voix ou l'air fonore efl la ma- tière de la Parole : les parties de la bou- che en font les organes particuliers : la Prononciation en conflitue la forme & en fait le pinceau de l'Efprit : heureux qui ne s'en fert jamais que pour le bien & pour le vrai ! ,^

Comme la Prononciation dépend ^

Aiiij

8 Les vrais Principes

aînfi que Je viens de le dire , & de la fi- tuation & du mouvement des organes ; cela fait qu'elle comprend deux efpeces de modifications 5 dont l'une forme le Son & l'autre l'Articulation.

Le Son efl la voix prononcée par la feule forme du pafTage que lui donne la fituation des organes. Il fe fait entendre par lui même , & peut être aufîi varié qu'il y a de diverfités poiïibles dans le paflage de la voix.

L'Articulation confiiîe dans les mouvemens que les organes ajoutent à leur fituation dans le temps de l'impul- fion de la voix. Elle ne fauroit être entendue fans le fecours du Son , dont elle efl l'accompagnem.ent. Ses variétés répondent au nombre des différens mou- vemens que la mécanique de la bou- che permet d'exécuter dans la Pronon- ciation.

Chaque Nation s'efl fait une habitude d'un certain nombre de Sons & d'Arti- culations en puifant , félon fon goût , dans la faculté naturelle.

BE LA Langue Françoise, 9

Le defir & le befoin de commercer avec les abfens, joints à l'infidélité de la mémoire & à l'initabilité des promeiTes , ont fait inventer des caraderes propres à conferver & à montrer aux yeux la Parole. Chacun de ces caraderes repré- fente ou un Son ou une Articulation. On les apele tous d'un nom commun Lettres : mais on nomme particuliè- rement Voyeles ceux qui repréfentent les Sons, & Consonnes ceux qui re- préfentent les Articulations. Outre ces noms d'efpeces , chacun a de plus fon nom fmgulier. La main les deffme & les place fuivant l'ordre de la prononcia- tion 5 c'efl à dire de la même manière dont ils font combinés par les organes de la Parole. On donne même le nom du caraâ:ere au fon ou à l'articulation qu'il repréfente.

Les Lettres font donc les parties dont on conflruit les mots. Pour cet effet on les aifemble de façon qu'elles puifTent être prononcées; en entrelaffantles fons

Av

lo Les vrais Principes

avec les articulations ou les voyeles avec les confonnes , car c'eft la même chofe. Les Langues ce mélange eft le plus égal font les plus faciles à pronon- cer : l'Italienne & la Françoife l'empor- tent par fur baucoup d'autres. Celles oîi les voyeles dominent trop ont quel- que chofe d'efféminé. Celles l'on trouve fouvent une feule voyele accom- pagnée d'un grand nombre de confonnes font dures & difficiles : l'habitude empê- che qu'on ne fente cette dureté ; mais à juger des chofes par des vues exemtes de prévention , en fuivant la fimple mé- canique de la nature , il eft confiant que le grand nombre de confonnes embaraffe plutôt le pafTage de la voyele qu'il ne le facilite ^ acaufe de la complication des difFérens mouvemens qu'il faut faire alors dans l'inflant d'une feule impulfion de voix.

Quelquefois la voyele fe trouve feule & fe prononce fans l'aide d'aucune con- fonne , du moins de celles qui font diflin-

DE LA Langue Françoise, i r

guées de rafpiration : il arrive dautre- fois qu'elle en a plufieurs attachées à Ion fervice , & elle peut les avoir à fa tête ou à fa fuite. Quelle que foitla circonllance, elle forme la fyllabe , &: n'en forme qu'u- ne avec toutes les confonnes de fon cor- tège ; c'efl à dire qu'elles font enfemble imité de prononciation , ainli que le fait entendre la force étymologique du mot. Cette unité dépend de l'impulfion de la voix hors de la bouche : lorfqu'il n'y a qu'une impulfion de voix ; il fe trouve unité de prononciation ; parconféquent il n'y a qu'une fyllabe : lorfqu'il y a plu- fieurs impulfions de voix ; il ne fauroit y avoir unité de prononciation ; parconfé- quent il fe trouve alors dans le mot plu- ralité des fyllabes. L'unité ou la pluralité des impulfions vient de la continuité ou de l'interruption du paffage de la voix. Cette interruption eil le plus fouvent caufée par une articulation qui n'elï pas au fervice du fon précédent ; telle qu'ejft , dans le mot peru , la confonne T, qui >.

A vj

Il Les vrais Principes

nullement de la fuite du premier E vient former avec le fécond une nouvelle fyl- labe. Quelquefois elle eil caufée par une afpiration qui recommence la pronon- ciation d'un autre fon ou du même , il n'importe. On fupofe toujours cette af- piration à la tête des voyeles quand il ne s'y trouve point de confonne : elle con- fiée dans ce premier mouvement que les organes font uniquement pour pouffer le fon au dehors , fans l'agiter d'aucune au- tre manière.' Par exemple , Saiil , Baal ^ pieux font de deux fyllabes ; parcequ'a- près la prononciation des fons ^ & /il fe fait une afpiration ou un nouveau petit mouvement d'organes , pour former & pouffer les fons u^a^ &ceu: au lieu que le mot Dieu n'efl que d'une fyllabe ; par- ceque le fon i efl prononcé conjointe- ment avec le fon eu fans ce petit mouve- ment ou afpiration intermédiaire. Ainfi la Syllabe fera très bien définie , un fon 5 fimple ou compofé . prononcé avec toutes fes articulations par une feule im-

DE LA Langue Françoise, 13

pulfion de voix. Si cette impulfion eft faite avec lenteur ; la fyllabe efl longue : fi elle eft faite avec précipitation ; la fyllabe eft brève : fi elle tient un milieu ; la fyllabe n'eft ni longue ni brève. Ce plus & ce moins de temps employé à la prononciation du fon efl ce qu'on nom- me en Grammaire Quantité ; faifant dans le Latin l'harmonie des vers ,.qui , par un mélange entendu de longues & de brèves , y marchent avec cadence ; aulieu que dans nôtre poéfie la quantité n'eft de conféquence qu'à la rime.

Tout ce que je viens de dire fait voir que la fyllaT^e réfulte proprement de l'u- nion des confonnes avec les voyeles ; en confidérant l'afpiration comme une efpece de confonne , qu'on repréfente quelquefois par un caraélere , & que le plus fou vent on fupofe fuffifamment marquée par le caractère du fon , comme en étant le préliminaire indifpenfable. Mais de l'union des voyeles entre elles, faite fans aucune interruption , foit de

14 ^^s rRAis Principes confonne propre foit d'afpiration , il ré- fuite un fon compofé , dit en termes de l'art Diphtongue : dont la définition n'eft pas la même chez tous les Gram- mairiens ; les uns voulant que ce foit deux fons prononcés en une fyllabe ; les autreSjUn fon exprimé par deux voyeles. De cette diverfité d'opinions viennent les différentes manières dont les Savans prononcent les Langues mortes , furtout le Grec : & cette diverlité d'opinion ne vient elle même que de la précipitation à décider & de l'inattention à toute Té- tendue de rUfage. Pour moi qui le con- fulte avec afîiduité , & qui nî'en tiens à ce qu'il a établi, je vois qu'il y a deux cfpeces de Diphtongues. L'une eil lorf- que deux voyeles , gardant leur fon na- turel , fe prononcent néanmoins en une fyllabe ; comme u i dans cuire. L'autre efpece eft lorfque deux voyeles ne for- ment enfemble qu'un fon , mais- diffé- rent de celui que chacune a naturelle- ment étant féparée de l'autre ; ^omme

/>£ LA Langue Françoise, i 5

font eu dans heureux , le fon qui en réiulte n'efl ni celui d'e ni celui d'//. L'unité de fyllable dans la pluralité des fons conflitue la première efpece : &C l'unité de fon dans la pluralité des ca- raôeres conilitue la féconde. On peut donner aux unes le nom de Syllabiques & aux autres celui à^Ortographiques : mais dans les deux efpeces'41 y a tou- jours unité naiffant d'une pluralité. Ainfi la Diphtongue en général eft une union de voyeles dans une feule pronon- ciation , produifant une unité de fyllabe ou unité de fon. Lorfque cette union produit fimplement unité de fyllabe ,. c'efl une Diphtongue syllabique : lorfqu'elle produit unité de fon, c'eil une Diphtongue orthographique* Celleci n'eft jamais compofée que de^ deux voyeles ; mais la Syllabique peut l'être de trois , parce que l'Orthographi- que ne tenant la place que d'un fon ^ peut en faire partie : ainfi qu'on le voit dans les monofyllabes fuiyans ^ Tome I^ ^

i6 Les trais Pru^cipes^

yeux 5 Heu , oui ^ fceau, La mécanique des organes étant dif- pofée de façon qu'on ne peut rendre fo- nore que l'air qu'on renvoyé au dehors, & que celui qu'on tire en dedans efl uni< quement deftiné à rafraichir la poitrine &: donner au fang la vertu élaflique dont il a befoin pour la confervation & l'ac- tion de la rhachine animale ; de vient qu'on ne fauroit faire de longs difcours fans quelques intervalles de repos ; car il faut prendre le tems d'humer du nouvel air 5 pour fournir au refTort de la vie & à la matière de la voix» Ce temps qu'on prend fait les Pauses dans l'exécution de la parole. On les marque fur le papier par la Ponctuation , afin qu'elles ioient faites à propos , & que la perfonne qui lit foulage fa poitrine de façon que l'attention ne foit ni fatiguée par de trop longues frafes ni détournée par des inter- ruptions à contretemps. Car enfin notre efprit ne fe prêtant à laconverfation&à la le^iure que pour fe former des images net-

DE LA Langue Françoise, 17

tes 5 il efl toujours mortifié lorfque le pinceau de la parole s'arrête à la moitié du trait, ou lorfqu'il ne lui en repréfen- te que de confus. Il faut donc, pour bien parler, exprimer fes penfées de fa- çon que non feulement les mots foient bien prononcés , bien choifis , & bien rangés ; mais que les divers fens foient encore bien diliingués ôc faciles à com-. prendre.

Que l'ironie ne vienne point tourner en ridicule mon exadlitude & traiter de minuties ces premières définitions. Ce reproche porteroit à faux ; parceque rien de ce qui a le vrai pour objet n'eil minutie que lorfque l'étude en efl dépla- cée. Dès qu'on traite un art, il faut né- ceiTairement que fes premiers élemens faifent la tètQ de l'ouvrage. La négligen- ce de ceux de la Parole a caufé & caufe tous les jours de violentes difputes ; c'eil même la fource la plus ordinaire des er- reurs & des fautes. Les vraies minuties de la Grammaire font un tas d mutiles

i8 Les vrais Principes

généalogies & de faufles aplications de règles étrangères , qui défigiuent nôtre Langue & en rendent les préceptes obf- curs. J'aurai autant de foin de la déba- rafler de ces inutilités que j'ai d'atten- tion à bien définir les plus petites cho- fes qui en font les fondemens réels , dont la conféquence paroitra à mefure que j'avancerai dans les plus grandes.

Si tous les hommes fe fervoient des mêmes modifications de voix pour for- mer les mots , s'ils rangeoient ces mots dans le même ordre , & s'ils y avoient attaché les mêmes idées ; la manière de parler feroit partout la même. Mais par- cequ'ils en ont ufé & en ufent encore autrement ; il fe trouve parmi eux plu- fieurs différentes manières de parler , fé- lon le plan magnifique de la variété de la Nature , qui ne s'eil point avifée de confulter en cela la commodité des voya- geurs.

Lorfqu'une manière de parler efl de- venue commune à une affez grand nom-

DE LA Langue Françoise, 19

bre d'hommes pour former un peuple diftingué des autres ; on l'honore du nom de Langue : qui par conféquent n'eft autre chofe que Fufage particulier d'une nation entière , dans rëtablifTement l'or- dre & l'emploi des mots , pour exprimer la penfée.

Comme dans chaque nation il y a deux fortes de perfonnes : les unes grof- fieres ôc ignorantes , qui négligent & al- tèrent les expreffions : les autres inftrui- tes & polies , qui cultivent l'art de la Pa- role ; cela fait que toutes les Langues fe trouvent ou dans un état de corruption ou dans un état de pureté. Celuici re- tient en propre le nom d'UsAGE : décide des doutes : fait l'elTence des Langues vivantes : &: en renferme toutes les re- gles^qu'il n'eft pas permis d'aprendre d'un autre maitre ; parcequ'il n'en eft point de plus sûr ni de plus doâ:e en cette ma- tière que celui qui les a faites. Chez les Peuples unis fous une feule domination 5 foit monarchie foit république, lufage

20 Les vrais Principes

de la Langue fuit celui de la Politique r je veux dire qu'il efl unique , & que , dé- pendant toujours de la portion domi- nante 5 il s'aprend à la Cour & dans la Capitale. Lorfque la Nation fe trouve partagée en plufieurs petits Peuples, for- mant divers Etats fouverains ; il peut très aifement s'introduire des variétés dans la Langue commune : de façon que chacun , fe piquant de politefle & d'ef- prit, s'attache à fa propre manière de parler 5 & ne l'eftime pas moins que celle de fon voifin. Ces variétés étant alors apuyées d'une égale autorité , font que rUfage n'efl pas , comme parmi nous , iimplement diftingué en bon & en mau- vais ; mais qu'il efl multiplié ou divifé en plufieurs branches, félon le nombre de ces manières particulières reconnues pour polies & concurrentes dans la car- rière commune ; & elles font précifé- ment ce qu'on nomme Dialectes. Tel a été l'état de la Langue Greque, que le Grammairiens partagent encore au-

DE LA Langue Françoise, h

jourd'hui en cinq dialedes.

Quant à l'état de corruption fe trouvent les Langues , il a deux degrés: L'un qui ne vient que du défaut d'édu- cation ou d'un manque d'attention au bon ufage : tel efl l'état de notre Langue dans le bas peuple de Paris , & parmi quelques honnêtes gens de Province qui n'ont été ni à Paris ni à la Cour , ou qui n'ont pas profité du féjour qu'ils y ont fait. L'autre degré de corruption vient du mélange de l'ancienne avec la nou- velle façon de parler : ce qui forme chez k payfan , dans les Provinces éloignées du centre de la domination , divers lan- gages particuliers qu'on nommePATOis, dont la connoifTance peut fervir à péné- trer dans l'origine des Langues & des Peuples : tels font le Bas-breton , l'Au- vergnat, & le Provençal.

La différence la plus aparente dans les Langues eft celle qui frape d'abord nos oreilles ; elle vient de la différence des mots : mais la plus effencielle ne fe mon-

22 Les vrais Prij^cipes

tre qu'à nôtre réflexion ; elle naît de la diverfité du goût de chaque peuple dans le tour de frafe & dans l'idée modifica- tive de l'emploi des mots.

Lorfque cette forte de goût propre Se diftinâ:if ne regarde qu'une circonftance unique ou une feule façon particulière , de s'exprimer ; on le nomme Idiome , c'eft à dire propriété de Langue. Par exemple, c'eft un idiome françois d'ex- primer par le pronom indéfini on joint au verbe aâ:if l'attribution vague & in- déterminée d'une aâ;ion : au lieu que c'efl un idiome italien de l'exprimer par le pronom réciproqueT? avec le même verbe : & c'efl un idiome latin de fe fer- vir pour cet effet du feul verbe pafîif fans pronom ni particule. Le François dit donc on demande , ritdl'ien Jz domanda ^ le Latin quœritur,

Lorfque ce goût diflinôlf eft confidé- dans fon univerfalité ; c'efl alors ce qu'en fait de Langues on nomme GÉNIE, dont il efl important au Grammairien de

DE LA Langue Françoise, 13

bien connoitre la nature. Chaque Lan- gue a le fien : ils peuvent néanmoins être réduits à trois fortes : & par ce moyen les Langues fe trouvent diflin- guées en trois claffes. Si on ne leur a pas encore donné des noms ; c'eft qu'on n'a pas connu l'influence qu'ils dévoient avoir dans l'établiffement des règles. Cette inattention n'empêche pourtant pas qu'ils ne foient les fondemens de tout principe de Grammaire, & que leur con- fusion ne devienne une fource d'abfur- dités. La remarque me paroit fi naturel- le que , fans en être redevable à perfon- ne , je ne penfe pas que je fois le feul qui l'aie faite : mais li quelqu'un avant moi en a été touché ; je fuis au moins le pre- mier qui entreprens de la mettre en eu- vre dans la méthode grammaticale , & d'en faire valoir le mérite aux yeux du Public.

Les Langues de la première clafTe fui- vent ordinairement , dans leur conilru- ftion , Tordre naturel & la gradation des

24 Les vrais Principes

idées : le iujet agiflant y marche le pre- mier , enfuite l'adlion accompagnée de fes modifications , après cela ce qui en fait l'objet & le terme. Par cette raifon je les nomme Analogues , ainii que le génie qui les caraftérife. Elles ont un ar- ticle, qu'elles joignent aux dénomina- tions qui ne font pas individuelles , & n'admettent point de cas : telles font la Françoife , l'Italienne , & l'Efpagnole.

Les Langues de la féconde clafTe ne fuivent d'autre ordre , dans la conflru- dion de leurs frafes , que le feu de l'i- magination ; faifant précéder tantôt l 'ob- jet, tantôt l'adion , & tantôt la modifi- cation ou la circonflance ; ce qui n'efl pourtant pas un défaut , & ne produit aucune ambiguité, acaufe des cas & de la variété des terminaifons qu'elles ad- mettent ; par le moyen defquelles le ré- gime étant dabord indiqué , il ne reile ni équivoque ni confufion dans le fens , mais feulement la peine d'aller jufqu'au bout de la période avant que de com- mencer

T)£ LA Lancue Françoise. 25

mencer à fe former une penfée fiiivie. Ainfi le nom de Transpositives leur convient parfaitement. Elles ne connoif- fent pas l'ufage de l'Article. Le Latin , TEfclavon , & le Mofcovite font de cette efpece.

Les Langues de la troifieme cîafle tiennent des deux autres ; ayant un ar- ticle comme les Analogues , & des cas comme les Tranfpofitives : telle efb la Langue Greque : il m€ femble aufîi que laTeutonique apartient également à cet- te clafTe. On la nommera , fi l'on veut , Mixte , ou , d'un air plus dode , Am- PHILOGIQUE : je ne lui fixe point de noiç ; parceque je n'en dois plus par- ler, & que je crains de n'en pas trouver un affez heureux pour être adopté.

On peut aprendre les Langues par fimple pratique , ainfi que les enfans aprennent de leurs parens leur Langue maternelle , ou par méthode raifonnée, comme les écoliers aprennent de leur maitre les Langues étrangères. Cette

Tome I. B

26 Les vrais P rinc i p es

méthode fe fait en rédigeant fous cer- tains chefs généraux tout ce qui eft d'u- fage 9 & en le mettant dans l'ordre le plus commode pour l'étude de la Lan- gue. Voilà juftement ce qu'on nomme Grammaire ; qui par conféquent eil l'art d'enfeigner méthodiquement tout ce que l'Ufage a introduit 6i autorifé dans la Langue, foit pour la parler foit pour l'écrire correftement. Lorfqu'on aprend les Langues par fmiple pratique ; on peut les favoir parler fans les favoir lire ni écrire ; comme il arrive toujours à l'égard de fa Langue naturelle : mais lorfqu'on les étudie par méthode ; il faut commencer par aprendre à lire ; parcc- qu'on a autant befoin de fes yeux que de fes oreilles pour faire du progrès dans cette étude.

Ce n'efl pas affez de connoitre les mots & leurs valeurs ; il faut déplus être inflruit de la manière dont ils doi- vent être rangés dans le difcours : car fi l'Ufage les a introduits j il leur a aufîî

BF LA Langue Françoise, 17

aiîîgné des places : &: comme c'eil une faute d'en employer d'autres que ceux qu'il autorife ; c'en eil également une de les déplacer. Cet arrangement de mots eft ce qu'on nomme, en flile de Gram- maire 5 Syntaxe : terme qui paroitra peutêtre barbare ; quoiqu'il foit pris de la Langue la plus polie de l'Antiquité , les Grecs ayant été bien plus loin que les autres nations pour le langage com- me pour la do£i:rine : mais il fignifîe en bon François Construction. Elle va- rie chez les Peuples ainfi que les mots., fait la différence la plus effencielle entre les Langues , &: s'opofe à l'opinion de ceux qui affiirent que la Françoife l'Ef- pagnole & l'Italienne font filles de la Latine. Ces meilleurs ne raportent d'au- tre titre de cette filiation que l'étymolo- gie de quelques mots & l'étendue l'Empire Romain fur les pays préfente- ment habités par ces nations. Mais quand on obferve le prodigieux éloignement qu'il y a du génie de ces Langues à ce-

Bij

28 Les vrais Principes

lui du Latin : quand on fait attention que l'étymologie prouve feulement les emprunts & non l'origine : quand on fait que les peuples fubjugués par les Romains avoient leurs Langues : que la faine critique défend de penfer que les Magiflrats & quelques Légions , qu'on y envoyoit pour les gouverner & les main- tenir dans l'obéifTance , fuflent capables d'anéantir la Langue vulgaire : quand on aperçoit enfuite que les Nations étrangè- res qui inondèrent l'Empire & y établi- rent de nouveaux Etats aporterent des meurs & des langages inconnus ; & que la Viftoire, accoutumée à tout foumet- tre jufqu'à la manière de parler ^ les fît triompher & des armes & de la Langue des Romains ; en forte que la leur de- venue la dominante s'introduifit avec leur pouvoir, en s'altérant néanmoins par le commerce qu'il falut néceflaire- ment avoir avec les vaincus & les nou- veaux Sujets : lorfqu'enfîn on voit au- jourdui de ïqs propres yeux ces Langues

DF LA Langue Françoise. 29

vivantes ornées d'un article , qu'elles n'ont pu prendre de la Latine il n'y en eut jamais , & diamétralement opo- fées aux conflrudlions tranfpofitives & aux inflexions de cas ordinaires à celle- ci ; on ne fauroit acaufe de quelques mots empruntés dire qu'elles en font les £lles , ou il faudroit leur donner plus d'une mère. La Greque prétendroit à cet honneur : &c une infinité de mots qui ne viennent ni du Grec ni du Latin révendiqueroient cette gloire pour une autre. J'avoue bien qu'elles en ont tiré une grande partie de leurs richefles : mais je nie qu'elles lui foient redevables de leur naiffance. Ce n'eft donc pas aux emprunts ni aux étymologies qu'il faut s'arrêter pour connoitre l'origine & la parenté de Langues : c'efl: à leur génjjÇ , en fuivant pas à pas leurs progrès Se leurs changemens. La fortune des nou- veaux mots & la facilité avec laquelle ceux d'une Langue pafTent dans l'autre , furtout quand les Peuples fe mêlent ,

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30 Les trais Principes

donneront toujours le change fur ce fu- jet : aulieu que le génie indépendant des organes parconféquent moins fuf- ceptible d'altération & de changement , fe maintient au milieu de l'inconflance des mots , &; conferve à la Langue le véritable titre de fon origine.

Qu'on me pardonne la digreffion que je viens de faire fur la filiation des Lan- gues : ou plutôt qu'on me permette de la continuer par une réflexion fur le ter- me de Langue-mere ; dont le Vulgai- re fe fert fans être bien inftruit de ce qu'il doit entendre par ce mot ; & dont les vrais fa vans ont peine à donner une explication qui débrouille l'idée infor- me de ceux qui en font ufage. Il eil: de coutume de fupofer qu'il y a des Lan- gues-meres parmi celles qui fubfiilcnt , & de demander quelles elles font : à quoi on n'héfite pas à répondre d'un ton aiTuré que c'efl l'Hébreu , le Grec , & le Latin. Par conjefture ou par grâce on défère encore cet honneur à l'Allemand ;

BE LA Langue Françoise, 3 1

TEfclavon étant trop ignoré , il n'en efl point fait mention : pour le Chinois , quoique fon exiilence foit connue , on le regarde comme d'un autre monde ; ôc qui parconféquent ne doit pas interve- nir dans la difcufîîon , ni faire valoir des prétentions dont l'examen eil cenfé hors des bornes de nôtre fphere. On ne man- que pas non plus d'exclure de cet ordre fupreme le François : on pouffe même l'aviliffement à fon égard jufqu'à lui re- fufer^ le nom de Langue 6c le traiter de Jargon, C'efl ainfi qu'on parle commu- nément 5 fans preuve & fans autre rai- fon de ce qu'on dit que de l'avoir oui dire à quelqu'autre. Mais lorfqu'on exa- mine de près la queflion ; on voit qu'elle ihérite auiîi peu la peine d'une réponfe qu'il eft difficile d'y en donner une fatis- faifante. Car enfin s'il faut qu'une Lan- gue-mere ait des filles ; l'Hébreu & le Latin déchoiront de cette dignité ; puif- qu'on ne leur connoit point de polléri- ; & qu'on ne peut regarder comme un

Biiij

32 Les vrais Principes

ade de légitimation le pillage que des' Langues étrangères y ont fait , ni leurs dépouilles comme un héritage maternel. S'il fufnt pour l'honneur de ce rang de ne devoir point à d'autre fa naiflance , & de montrer fon établiffement dès le berceau du Monde; il n'y aura plus, dans nôtre fyfleme de la création, qu'une feule Langue-mere : & qui fera aflez té- méraire pour ofer gratifier de cette an- tiquité une des Langues que nous con- noiflbns ? Si cet avantage dépend uni- quement de remonter jufqu'à la confu- fion de Babel , qui produit des titres authentiques & décififs pour conflater la préférence ou l'exclufion ? qui eft ca- pable de mettre dans une jufte balance toutes les Langues de l'Univers ? à peine les plus favans en favent cinq ou fix : prendre enfin des témoignages non récufables ni fufpefts & des preuves bien folides que les premiers Langages qui fuivirent immédiatement le déluge furent ceux qu'ont parlé dans la fuite les

DE LA Langue Françoise, 3 5

Juifs , les Grecs , & les Romains , ou quelquesuns de ceux que parlent enco- re les hommes de nôtre fiecle ? Tous les commencemens font obfcurs : 5c les prétendues Langues-meres ont eu , ainfi que les Langues vivantes , non feule- ment leur mère mais encore leur ayeu- le &: leur bifayeule. Cette expreiîion n'a donc rien de jufte , ni l'aplication qu'on en fait rien de vrai. Dès qu'une façon de parler efl ou a été celle d'une grande nation policée, &: qu'elle a pa- ru propre à tranfmettre à la poflérité les ouvrages des Auteurs ; elle a dès lors autant de droit à la dénomination de Langue que la plus ancienne qu'on puiife découvrir. Je n'admets donc point ici d'autre diflindion que celle du préfent au pafTé : ce qui fait qu'elles font ou Langues mortes ou Langues vi- vantes. Si je vois entre une ancienne & quelquune de celles qui font en ufa- ge non feulement une analogie de mots mais encore de l'uniformité dans leur.

Bv

34 Les frais Prin cipes

génie ; je n'en contefte pas la filiation , 6c j'avoue que l'une eft Langue-mere par raport à l'autre ; ainfi qu'on le re- marque dans les Langues Ruffienne , Po- lonoife , &C lUirienne à l'égard de l'Efcla- vone 5 dont il eil fenfible qu'elles tirent leur origine. Mais pour porter un pareil jugement fur d'autres Langues , il faut également y apercevoir le vrai caractè- re de naiiTance diftingué de celui d'em- prunt.

Il fans doute temps de mettre un à nos digreffions ; quoique je ne penfe pas qu'elles foient abfolument hors de place ; puifqu'étant propres à defTerrer les liens par lefquels on attache nôtre Langue à la Latine , elles peuvent don- ner occafion à brifer les chaines fous lefquelles la Méthode Françoife gémit. Chaines fi fortes que perfonne n'a enco- re ofé entreprendre de les rompre. Tout ce qu'on a donné au Public fur ce fujet ne s'eft préfenté que d'un air docile & foumis aux leçons des premières écoles;

DE LA Langue Françoise, 3 5

on n'a pas même voulu imaginer qu'il fût permis de fe propofer un autre mo- dèle que le Rudiment latin du Collège. Seroit-il défendu au Grammairien de prendre un vol libre , pour s'ouvrir une carrière plus fûre plus noble & plus gracieufe ? Je ne crois pas que la nou- veauté fcandalife lorfqu'elle ira au vrai &: à la perfeâion de l'art. Je vas donc fuivre hardiment la nouvelle route que je me fuis frayée , en abandonnant le fentier gênant de l'Autorité pour mar- cher dans le chemin de la Raifon , dont le Ledeur fentira , auiîi bien que moi , la commodité & l'agrément.

La Grammaire doit avoir en vue trois objets : la connoifTance de toutes les for- tes de mots dont la Langue eft compo- fée , la conflruftion de ces mots dans le tour de frafe , & la régularité de l'Or- thographe. Elle doit former fes défini- tions fur la nature à^s chofes : tirer fes préceptes de la pratique & du propre génie de la Langue qu'elle traite : fur-

B vj

36 Les trais Principes

tout éviter l'éciieil ordinaire , qui eil d'adapter aux Langues analogues ce qui ne convient qu'aux tranfpofitives. Ce dé- faut rend une méthode également con- fufe dans fes principes &C barbare dans fes termes : il eft caufe que l'inveftive s'en mêlant , on traite TUfage de capri- cieux ; tandis que c'efl ceux qui l'inful- tent qui donnent eux mêmes dans le ca- price de vouloir enfeigner une Langue par d'autres préceptes que par les fiens. Ils copient des Maitres Latins pour s'é- riger en Maitres François : trouvent en- fuite fort étrange que nôtre pratique ne s'accorde pas avec leurs règles : ôcpour confacrer leur méprife , ils flétrifTent de la note infamante de bizarerie tout ce. qui s'écarte du fyfteme étranger qu'ils ont adopté 5 dont ils n'aperçoivent pas la fauffe aplication , & à qui ils n'ont garde d'attribuer la faute de la difcor- dance. La prévention à cet égard a été fi forte que , quelque fenfible que foit la différence des Langues , il n'en efl pas

nE LA Langue Françoise, 37

le moindre foupçon qu'il pût aufîl y avoir de la différence entre leurs métho- des, & que des règles particulières puf- fent ne pas être des règles générales c Dès qu'on a vu dans le François quel- que chofe de non conforme au Latin ; on a décidé , d'un air plein de perfua- fion , que le premier péchoit contre la Grammaire : & cela uniquement parce- qu'on avoit déjà des règles latines , & qu'on n'en avoit point encore de fran- çoifes. Si celiesci avoient précédé les autres ; je ne doute pas qu'on n'eût fait à la Langue Latine le même affront qu'on fait à la nôtre , & que l'arrêt d'ir- régularité n'eût été prononcé contre elle dans toutes les occafions elle n'au- roit pas fuivi les loix de la méthode éta" blie. Tel eil l'avantage de la primauté : elle faifit l'idée , & fait barrière à ce qui veut enfuite fe préfenter fous d'autres, formes. Il ell cependant très vrai que li la méthode latine eil bonne c'eil: parce- qu'elle s'accorde, avec les ufages de la

jS Les vrais Principes Langue qu'elle traite : que par la même raifon la méthode françoife ne peut être bonne qu'autant qu'il y aura du raport entre les règles &c ce que le bon ufage autorife. En im mot la Grammaire en général n'eft ni la méthode latine , ni la méthode françoife , ni celle d'aucune Langue particulière : mais elle efl l'art de traiter chaque Langue fuivant fes iifages & fon propre génie. Qu'on fe détache donc de l'habitude de parler Grammaire uniquement dans le goût la- tin ; puifqu'il enei}: un autre dont cet art efl fufceptible ; & que chacun d'eux ayant fa convenance félon le différent génie des Langues , ils ne peuvent ni ne doivent être fubilitués l'un à l'autre. Que les égards dus à nos prédécefleurs ne fervent point d'aliment à la parefTc pour s'épargner la peine de penfer par foi même. Les premiers Auteurs méri- tent fans doute de l'eilime &i de la re* connoifTance ; d'autant plus que nous leur fommes peutêtre redevables des dé-

DE LA Langue Françoise. 39

couvertes que nous faifons comme de celles qu'ils nous ont tranfmifes : mais que ces juiles fentimens ne celTent point d'être éclairés, & ne dégénèrent pas en prévention : car autant que le véritable homme de lettres doit aplaudir aux pen- fées ou aux opinions d'autrui quand el- les le méritent , autant lui convient-il peu de n'en être que ftupide fedateur. Qu'enfin l'averfion pour la fmgularité ne devienne pas un prétexte mal enten- du d'abandonner la route la plus avan- tageufe pour parvenir au but. Si l'on fe trouve hors du général par le goût de la perfedion ou par l'amour du vrai ; ce n'eil: plus fmgularité , c'eft diftinf^ion. Je reviens aux trois objets ou aux trois parties de la Grammaire. N'étant point ici queilion d une Langue étran- gère, l'Orthographe cédera l'honneur du rang à la Nomenclature &: à la Syntaxe : c'eil à dire que ce qui regarde l'Ecriture ne viendra qu'à la fuite de ce qui con- cerne la connoiffance des mots & leur

40 Les vr^is Principes

conflrudion. Cet ordre eft dautant plus convenable que la Parole écrite n'efl que rimage de la Parole prononcée , & que celleci eil: Timage immédiate de la Penfée. C'eft dailleurs fe conformer au plan de l'éducation naturelle ; ayant apris à nous énoncer de bouche avant que d'avoir eu des maîtres à lire & à écrire.

BE LA Langue Françoise. 41

IL DISCOURS,

les Mots font diftingués par le caractère de leur fervïce & réduits , félon les différences fpéciflques des idées , à certaines efpeces générales , qu on nomme Parties d'orau SON y dont le nombre efi fixé & la nature expliquée par les règles im- muables de la Logique.

Es Mots étant les images des idées , il faut , pour les bien connoitre , étudier avec at- tention le raport qu'ils ont avec elles , &: fuivre exaftement le pro- grès de la Penfée conjointement avec ceux de la Parole. Toute autre route efl une voie d'égarement. Qui négligera de confulter le fyileme de la Nature & de rUfage ne fera jamais qu'un Grammai- rien plagiaire ;. expofé au mépris qu'on

42 Les vrais Principes

afFefte pour ce genre d'ouvrage. Mais qui puifera immédiatement dans les opé- rations de l'Efprit les principes de la Grammaire , pour en faire l'aplication convenable , tirera cet art de la roture , & lui donnant un nouveau luftre , force- ra ceux qui l'ont le moins eflimé à re- connoitre qu'il a , ainli que les au- tres fciences , un fublime , dont l'ef- prit fin & le goût délicat peuvent être fatisfaits. C'eil donc dans la forme de concevoir qu'il faut chercher & trouver celle de parler.

Convaincu de la vérité de ces maxi- mes , & perfuadé de l'avantage qu'il y a à fuivre le fil de la Nature dans toutes les chofes dont elle ell: le principe , je fais abftradion de tout fyfteme. Me pla- çant à la naiflance du Monde comme fpeâiateur , je me repréfente les premiers hommes fans langage formé , commen- çant à ouvrir les yeux & à jetter des regards curieux fur ce qui les environ- ne. Alors il me femble que leur premie-

DE LA Langue Françoise, 43

repenfée, fuite néceflaire de leur pre- mier coup-d'euil , fut de confidérer com- me des Etres ce qu'ils voyoient & de chercher à en faire un fujet d'entretien. Frapés en même temps de la diverfité & de la réalité des objets , ils durent dabord fe fervir du langage pour diftinguer com- me pour nommer. En effet cette dou- ble intention devient remarquable dans l'exécution du projet ^ & les fait débuter différemment , félonie génie qui les con- duit. Ceux qui fe trouvèrent doués de cette force de conception qui va prom- tement au but ou de cette réflexion qui modère la vivacité de la langue nommè- rent & diflinguerent tout à la fois : c'efl: à dire que leur première opération fut de créer la dénomination de ce que leur idée difîinguoit & cherchoit à énoncer; c'eft ainfi que fe comporta le génie la- tin : la vue du ciel &: de la terre produi- fit tout defuite Cœ.lum , Terra, Ceux qui eurent moins de force dans l'adion de l'efprit ou plus de vivacité dans l'exé-

44 Les vrais Principes

cution de la parole fe prefferent de dif- tinguer la chofe avant que de lui donner un nom convenable : ce qu'ils firent en la particularifant par un terme indéfini qui l'annonçoitfans la nommer : telle fut la conduite du génie françois : la vue du ciel & de la terre occafionna dabord la création des mots Le ^ La ^ pour distin- guer & tirer de la généralité ces Etres dont on vouloit parler : enfuite par une féconde création parurent,pour les nom- mer nettement , ces deux autres mots Ciel , Terre,

Cette forte de mot , qui annonce & particularife fans dénommer, efl le pre» mier pas de la Parole , & conflitue , fous le nom d'ARXiCLE , la première partie d'oraifon. Le langage tranfpofitif ne le connoit pas , ayant débuté par nommer les chofes : mais le langage analogue s'en fert avec grâce , &; le regarde comme un tour délicat naiffant de fon propre gé- nie: tels font en François , U^luy Us ;

DE LA LANGUE Françoise, 45

en Italien 9

il ^ lo y la^ l^ gU y le, ^

La flmple particularifation des objets, faite par l'Article , ni ne les diftinguoit afTez , ni ne les faifoit bien connoitre : il faltit y joindre une autre efpece de mots pour fpécifier bien précifément ce qui n'étoit qu'annoncé d'une manière vague : ce fut le motif & l'eiFet des Dénominations. Ce fécond pas de la Parole ne tend qu'à faire connoitre cha- que objet par fon nom , en le coniidé- rant comme chofe fubfiflente dans la na- ture & propre à être le fujet de diverfes attributions : c'eft donc à jufte titre qu'on a nommé les mots de cette efpece Noms & Substantifs , termes dont la valeur eft la même à quelque accefToire près , qu'il n'efl pas queftion d'expliquer ici. Quoique le dernier puiffe paroitre étran- ger à des oreilles qui n'ont pas fréquenté le Collège ; je m'en fervirai néanmoins ; parceque c'eft le terme confacré dans les Dictionnaires & chez les Grammai- riens qui m'ont précédé ; dont je ne veus

/fi Les vrais Principes

point m'éloigner , amoins que les inté- rêts de la Vérité ne l'exigent. Je mets donc au rang des Subilantifs tous les mots que l'art de la Parole a introduits pour nommer les chofes que l'Article ne fait qu'annoncer ; foit que ces chofes nommées foient des fubflances ou des modes , des efpeces ou des individus : tels font

pain , vîn , blancheur^ impuljion y hom- me j Faul , Fanchon,

Quand on eut fatisfait à la nécefTité de diflinguer & de nommer ; il furvint du defagrément dans la répétition qu'il falut faire d'une même dénomination lorfqu'on vouloit en repréfenter fré- quemment le fujet ou en parler defuite. Effet naturel du goût de nouveauté , que l'efprit humain avoit puifé dans la na- ture même & comme faifi à l'afped des variétés qu'elle lui donnoit en fpedacle. On chercha auiïi tôt le remède à cet in- convénient. Un nouveau tour d'idée le fournit, en venant caradérifer & faire

DE LA Langue Françoise, ^j

établir une troiiîeme efpece de mots ; qui , fans être Dénominations , en font néanmoins le fervice , ne figurant dans le difcours que comme leurs vicegérens. Pour cet effet on ne leur a donné d'au- tre valeur que celle de défigner ce que d'autres mots auroient expreflement dé- nommé. De façon que n'étant propre- ment & par eux mêmes que des rapels ou des renouvellemens d'idées , ils fe préfentent toujours à l'efprit d'un air nouveau. Tour heureux pour empêcher que la répétition n'en foit ennuyeufe. On les a donc très bien nommés Pro- noms ; puifqu'ils font par fuplément la fonftion des dénominations précifes : tels font

/e, vous y II y elle y eux ^ qui ^ que y &c. Comme on ne peut parler des chofes qu'en leur donnant des qualités ou en marquant leur aûion par les é venemens ; il a été néceffaire d'établir des mots pour ces deux fervices , que les trois premiè- res efpeces ne fauroient faire. Ceux

4^ Les vrais Principes qu'on emploie à marquer les qualités (c nomment Adjectifs ; parcequ'ils font ajoutés & unis aux Subftantifs pour qua- lifier les chofes que ceuxci dénomment. De forte que c'eil dans un fervice de Qualification que confifte leur effence diflindive. Ils forment la quatrième ef- pece : tels font

ifeax , noir , doux , fage _, mon , volrc , premier.

Les mots deflinés à marquer l'adion Se les évenemens que le mouvement per- pétuel de toutes les parties de l'Univers fait produire ou fbufrir , foit dans la Mo- rale comme dans la Phyfique , font la cinquième efpece ôc fe nomment Ver- bes : tels que

fiaper y courir , aimer ^ haïr y donner^ parler , peindre , croire , dépendre.

Je fais bien que la Méthode Latine de Port-royal, à laquelle je ne veus rien ôter de fon mérite , fait confifler l'efTen- ce de cette efpece de mots dans la feule affirmation. Elle nous aflïire que cette

fimple

jDe la Langue Françoise, 49

iîmple idée caraûérife les verbes qu'elle nomme Siihflantifs ; au rang defquels elle met dans le Latin Sum Fio , dans le François Etre ^ décidant formellement que tous les autres verbes ne font ver- bes qu'en vertu de celuici. La grande raifon qu'elle en donne efl que joint au participe il fait le même efFet : car , ajoute-t-elle , dire amo j'aime c'cfl la même chofe que de dire fujîi amans je fuis aimant. Elle attaque enfuite l'opi- nion de Scaliger &: de Sandius , que je reconnois avoir penfé avant moi ce que j'ai penfé après eux. J'avoue que 11 j'étois capable de parler fcience fur la foi d'autrui fans examiner les chofes par moi même , la prévention dans laquelle j'ai été élevé en faveur de l'ouvrage de Port-royal balanceroit l'autorité des deux Grammairiens qui l'ont précédé. Mais quoique plein d'eilime pour ceux qui ont pu être mes maitres , je ne fais pas voir par d'autres yeux que par les miens , ni je ne m'imagine point favoir Tome /• C

50 Les vrais Principes

ce que mes propres lumières ne me dé- momrent pas. Ainfi n'étant ledateiir que de la vérité & de la raifon , il ne m'eil pas poïïible de contredire ce que je Vois: ôc je ne peus ouvrir les yeux fans .voir que la Nature eft un affemblage d'Etres continuellement en action , formant en- tre eux une circulation de raports & d'évenemens : je ne peus pas nonplus ne pas apercevoir que l'efprit humain , comme copifle de la nature , imagine conformément aux manières dont celle- ci opère. De forte que la Parole étant faite pour répondre à tous ces tours d'o- pérations & d'imaginations , il faut non feulement que les parties qui la compo- fent foient caraâérifées par les images de ce qui fe pafie & de ce qu'on aper- çoit ; mais que déplus il y en ait pour chaque efpece d'images. Je ne peus donc Hi'empécher de regarder comme une né- ceiîité qu'il y ait des mots marqués à ce coin général d'adion ou d'événement; comme il y en a de marqués à celui de

DE LA Langue Françoise» 51

dénomination & de qualification. Jettant enfuite le coup-d'eiiil furie Langage pour obferver ce qui en efl: , ma penfée fe trouve confirmée & affermie par le fait : rUfage me montre quantité de mots oii il a imprimé d'une manière évidente & fenfible le caradere miodificatif d'idée agiffante ou qui énonce par événement. Idée générale , nullement comprife fous celle d'affirmation : bien loin de , cel- leci eil: une forte d'aôion dans lefprit , laquelle , outre le caradere commun qui la renferme fous l'efpece , a comme cha- cune des autres allions fon objet parti, culier qui la diftingue. J'ai beau me ref- fouvenir qu'un homme de grand mérite a penfé différemment ; la voix de la na- ture a fur moi plus d'autorité : je loue donc l'ouvrage de cet auteur ; mais je n'apîaudis pas à tout. C'eff même l'effi- me que j'en fais qui m'engage à difcuter fes raifons , pour empêcher que Téclat du nom ne prévienne au defavantage de k vérité, & pour donner en même temps

51 Les vrais Principes

à cette vérité tout le jour qu'elle exige. Le premier coup porté contre nôtre définition part d'une pure fupofition , par laquelle on prétend qu'il y a des mots qui ne fignifiant ni adion ni pafTion n'en font pas moins verbes : on en don- ne pour exemples exijlcr , reluire , fe re- pofer. Je voudrois bien montrer le foibîe de cette attaque autrement que par une infcription en faux ; mais il y eil: trop vi- fible pour le difîimuler. Qui ne fent pas que ces trois verbes repréfentent par événement la chofe qui fait l'objet de leur lignification ? comame exlflcnce^hitur^ repos la repréfentent par dénomination. Quelle phyfique a jamais féparé de la produdion d'un effet l'idée d'adion ? & quelle produdion fait plus d'honneur à l'aûion que celle de l'exiflence ? Efl-ce en ne faifant rien que la Nature fait fans ceiTe exifler de nouveaux Etres ou plu- tôt de nouvelles formes ? Eft-ce dans l'inadion de fa toute-puiifance que le Créateur a tiré l'Univers du néant?

DE LA Langue FraN'çoise, 53

Comment ce Grammairien élevé dans le centre d'une Théologie fublime 6c dé- vote , l'on foutient que l'exiflence de Dieu eu un pur aôe & que celle de la Créature eft une perpétuelle adion de la Divinité comme une efpece de créa- tion continuée, a-t-il pu choifir cet exemple ? Pourquoi prendre encore ce- lui de reluire y l'éclat de la lumière fupofe un mouvement û fubit Se û peu interrompu ? Celui dey^ repofcr n'eil pas plus heureux : fe repofe-t-on fans pafTer de l'état de mouvement à celui de tran- quilité ? &: peut-on changer d'état fans événement ou fans action ni produite ni fouferte ! Déplus n'efl-ce pas par l'aûion de quelque agent que le mouve- ment ceffe ? & par celle de la volonté qu'on prend du repos ? Enfin il n'efl pas pofîible de trouver un mot qui foit ver- be fans qu'il énonce par événement , quoi que ce foit qu'il énonce , ni qui énonce de cette manière fans être ver- be. Le néant n'eft aiTùrément ni a£lion

C iij

54 J-^s Tkais Principes m réalité : li néanmoins l'on difoit que Dieu anéantira le monde ; n'exprime- roit-on pas la chofe par événement pro- duit par l'adion de Dieu fur le monde & parconféquent comme fouferte par celuici ? L'Ufage ne fe dément en au- cune façon là-deffus ; parceque les Ef- fences étant néceffaires , on ne peut ni les détruire ni les changer , on peut feulement les habiller & les orner de divers acceifoires.

Un fécond moyen d'attaque vient en- fuite : îl n'efl que le revers du précé^ dent , en nous difant qu'il y a des mots qui ne font point verbes quoiqu'ils figni^ iient des a£lions , des pafîîons , & des chofes pailagcres , tels que courfi ccou- lemzm. La trempe de ce trait n'eft qu'une confufxon de l'idée objediive des mots avec l'idée modifîcative de leur emploi. La première fait la valeur particulière de chaque mot : l'autre conftitue la dif- férence effentielle & générale de l'ef- pece : chofes très différentes , qu'il n'efl

DE LA Langue Françoise. 55

pas permis à un Grammairien encore moins à un Logicien de confondre. Il cil bien vrai que les deux exemples ci- tés ont pour objet de leur fignifîcatioii des a£lions ou des chofes pafTageres : mais la manière dont ils les préfentent n'eft nullement agiflante ; elle eil fmi- plement dénominative , ne faifant au- cune peinture expreffive ni de l'adion ni du paffage en lui même , comme le font par raport au même objet courir écouler , qui parconféquent font verbes. Si c'étoit la différence objedive qui con- flituât l'efpece ; il s'enfuivroit non feu- lement que courfi &c écoulement ne fe- roient pas de la même & que courir fe- roit d'un autre que n'eil: écouler \ mais encore qu'il y auroit autant d'efpeces que de mots , ou plutôt qu'il n'y en au- roit point faute de caraclere commun , chaque mot différant de l'autre par fon objet de fignifîcation. Enfin peut-on fai- re quelque réflexion fur les Mots & n'être pas convaincu par le feul ufage ,

C jiij

56 Les vrais Principes

fans aucune raifon ni de Grammaire ni de Métaphyfique , que courir écouler font d'un autre ordre que courfe écoulement ? & que la différence confifte en ce que ceuxci nomment l'événement pour le diftinguer & que ceuxla en repréfentent la production ?

Attaquons à nôtre tour ; & fcrvons nous du même raifonnement que nôtre adverfaire a effayé de faire valoir ; le trait fera plus offenfif contre lui qu'il ne Ta été contre nous. Je dis donc à fon imitation que s'il y a des mots qui foient de vraies affirmations fans être verbes , il s^enfuit que ce n'eil point dans l'affir- mation que confifle l'eiTence du verbe. Or la chofe eu certaine : tels font , en bonne grammaire , oui & non : je ne vois point de réplique. La même conféquen- ce fuit néceflairement de cette autre fu- pofition 5 qu'il y ait des mots qui foient verbes quoiqu'ils n'affirment point. Eh qui en peut douter ? en voyant dans le verbe les Modes qu'on nomme Infinitif

r>E LA Langue Françoise, 57

& Gérondifs repréfentant l'événement fans l'adapter à aucun fujet ni à aucune perfonne : tels que

marchant , din , parlant ^ écrivant^ Oii eft l'afErmation ? Qu'on en dé- mêle diftindement , par une analyfe exaâ:e , les trois chofes qui en font l'ef- fence ; celle dont on affirme , celle qui efl affirmée, & le terme qui affirme l'une de l'autre. L'embarras eil grand , & ii grand qu'il a fait prendre un étrange parti à cet Ecrivain : c'eft d'abord de les exclure de l'ordre des Verbes , attendu l'idée qu'il s'étoit formée de l'effence de ceuxci : idée fi chère qu'il l'a érigée fans difcuffion ôc avec une confiance parfai- te en preuve démonftrative , ne don- nant point d'autre raifon de cette exclu- fion ; tant les hommes abondent dans leur fens. Ces Modes dévoient tout au- moins faire naitre quelque fufpicion contre la décifion , & engager à voir s'il n'y avoit pas une idée caradériitique

propre à diftinguer le Verbe de toutes

C V

5S Les vrais PRiNe ipes

les autres efpeces de mots & qui lui pût convenir dans toute fon étendue. Si on l'avoit cherchée ; on l'auroit trouvée ; d 'autant phis facilement que deux grands hommes l'a voient indiquée. Comme une faulTe démarche engage fouvent dans ime autre ; il a bien falu affigner une clafTe à ces Infinitifs & à ces Gérondifs exclus de la leur. Laquelle imaginer ? Combien de peines & de tortures d'ef- prit pdlir découvrir cette nouvelle ef- {Qnce 5 qui devoit faire de ces mots au- tre chofe que ce qu'ils avoient toujours été ! Enfin à force de fubtilités , de gé- néalogies grammaticales, d'ApEUPRE's, de Si , & de Comme , on fe flate d'en être venu à bout : l'arrêt fe prononce : on les déclare Subflantifs. Quelle meta* morphofe I & en même temps quel monf- trueux arrangement que celui de traiter à l'article d'une elaffe les mots qu'on reconnoit être d'une autre totalement différente , & de prendre des Subilantifs pour en faire poition delà conjugalion

DE LA Langue Françoise, 59

des Verbes ! Cela prouve bien qu'il efl dangereux de ne favoir ou de ne vou- loir pas reculer lorfqu'on s'eil avancé mal-à-propos. C'eil: en vain qu'on s'é- tay e fur ce que les Gérondifs fe déclinent ^n Latin. Car , fans difputer fur cette Langue , il ell certain qu'ils ne fe décli- nent point en François ; qu'ainfi cette rai- fon n'eft d'aucun poids pour décider de TelTence du verbe ; dont la définition , devant être formée fuivant les principes de la Logique , doit être la même dans toutes les Langues , indépendamment des variétés que leurs divers Génies ont adoptées dans la terminaifon & dans la formation des Modes.

De cette diiTertation revenons au feul fens-commun & au fimple coup-d'euil de rUfage. Quelle perfonne tant foit peu intelligente imaginera que dans cette frafe ,

ks ennemis , croyant nous fur prendre ^ ont eux-mêmes donné dans nos embûches & ont perdu leurs meilleures troupes ^

C vj

6o Les vrais Principes le géronàif croyant , VinRmtiffurprencIre , & les participes donné perdu ne foient pas verbes mais purs fiibftantifs ou ad- jeâ:ifs 5 de la nature de ces autres mots , ennemis , embûches , troupes , mêmes ^ meil- leures ? Non il n'eft pas pofïible de fe laifler furprendre par aucun raifonne- ment. Quelque adroit que foit le fo- phifme y jamais il ne perfuadera la ref- femblance. Les moins pénétrans ver- ront, comme moi , que ces mots ont im fervice & un emploi très difFérent de celui des fubfcantifs & des adjedifs qui forment avec eux le fens de la frafe : que parconféquent ils font d'un autre ordre , &: ne peuvent être mieux placés que dans celui que l'idée agiffante ca- raftérife ou qui énonce par événement; puifque cette idée , prife de la nature même, eft commune à tous les mots qui font verbes fans aucune exception & les diflingue parfaitement de toute autre efpece , ce que ne fait pas l'idée d'affirmation. D'ailleurs pourquoi ce

DE LA Ungue Françoise. 6t

Grammairien &: tons ceux qui ont adop- te fon opinion ont-ils fait regarder nôtre infinitif comme mode primitifs racine des autres ? Pourquoi fe fervent-ils de lui pour placer & chercher les Verbes dans le Didionnaire ?

J'ai encore deux petites réflexions à propofer à nos antagoniiles. La premiè- re eft que fi TefTence du verbe Etre confiile , comme ils le difent , dans la pure affirmation , fervant uniquement à lier Tobjet au fujet ; ce verbe ne doit plus enfermer d'objet dans fa propre va- leur : parconféquent il ne fauroit faire avec le feul fujet un fens formé , ni être employé dans le difcours fans un objet énoncé ; ainfi que le font fouvent les autres verbes. Cependant cela fe trou- ve pofitivement contraire à la pratique ; car on dit très bien ,

ce qui cfi touche plus qm ce qui a été. Il s'enfuit donc néceifairement que la définition n'ell: pas jufte ; & qu'il faut que ce verbe ait , comme tout autre ,

6i Les frais Principes

une idée objedive qui en particularife & diflingue la valeur , & une idée modifi- cative qui le réunifie à l'elpece commu- ne. Alors quelle raifon d'en faire le ca- raâ:ere de la totalité ? n'eft-il pas contre toute bonne logique de définir l'efpece par un de fes individus ? La féconde réflexion eft que l'affirmation faifant fé- lon eux l'eflence du verbe fubftantif , & tombant d'accord qu'il n'y a point d'af- firmation dans les Gérondifs , les ayant même par cette raifon dégradés de la qualité de verbes , il faut par leur hy- pothefe conclure que ce verbe ne peut avoir de gérondif. Or comme il eft no- toire qu'il en a un ; il efl d'une pareille notoriété que leur fyfleme eil contra- di£loire à l'Ufage.

Pour moi je crois que l'illuflre au- teur de la Méthode Latine voyant avec quelle facilité on rend par le verbe Etre &c par le participe plufieurs au- tres verbes , ayant auffi remarqué une affirmation toujours exprimée dans quel-

^DE LA Langue Françoise, 63

qu'un de leurs Modes , il s'efl trop livré à l'éclat flateur d'une nouvelle décou- verte. S'en tenant à cette première con- fidération ^ il n'a pas fait attention que cette affirmation n'eft qu'un effet de la nature de ce mode , qui adapte l'ac- tion à un fujet ou à une des trois person- nes qui peuvent figurer dans le dil'cours : que par cette raifon elle n'eil qu'accef- foire au Verbe confidéré en général , ÔC n'en peut faire l'effence , mais feulement le caractère difrinâiif de quelqu'un de fes Modes.

Si le nom de Port-royal ne m'a pas ébloui fur la nature du Verbe ; la foule - des autres Grammairiens ne m'entrai- nera pas dans le parti qu'ils ont pris à l'égard des Participes. Ne voulant les mettre au rang des Verbes a caufe que CCS mots prennent en certaines occa - fions nombre & genre , ne voulant pas nonplus les placer à celui des Adjedits a caufe qu'ils fervent à marquer l'adion conjointement avec le verbe auxiliaire,

64 Les vrais Principes

ils en ont fait , dans rénumëration des parties d'oraifon , une efpece particu- lière diflinguée des autres. Quelques modernes en petit nombre , encore plus frapés de ce genre &c de cette terminai- fon , les ont entièrement relégués dans le diftriâ: des Adje6î:ifs. Pour moi qui cherche le caradere d'un perfonnag^ dans le rôle qu'il joue 6c non dans l'ha- bit qu'il porte , je ne m'arrête point aux diverfes terminaifons que le Participe peut prendre : je confidere immédiate- ment fon fervice ou l'emploi pour le- quel il a été établi : & je vois qu'il cil fait, ainfi que les autres Modes du Ver- be , pour marquer l'adion & peindre l'événement; que parconféquent il lui apartient , ainfi qu'eux , comme portion inaliénable de fes Propres. Qu'importe qu'il prenne des genres comme l'Adjec- tif? Celuici ne fe décline- t-il pas dans les Langues tranfpofitives comme le Subftantif oc le Pronom ? cependant efl- il de leur efpece? Des chofes ditférea-

i>E LA Langue Françoise, 6y

tes par leur nature ne peuvent-elles pas fe reffembler par quelque aparence ex- térieure ? Pourquoi confondre l'acciden- tel avec l'eflenciel ? Car enfin fi la va- riation de genre fait l'eflence de l'Adjec- tif; le Participe ne le peut être fans que cette variation ne lui foit une propriété inféparable , aucune chofe ne pouvant jamais être abandonnée de ce qui en fait l'effence. Il eft néanmoins de toute no- toriété dans le François que bien loin de la conferver il ne s'en pare à l'adif que dans une feule occafion : c'ell lorfque l'objet de l'adion repréfentée par ce par- ticipe ou ce que la Grammaire vulgai- re nomme cas du verbe eft énoncé par un pronom relatif qui le précède ; comme quand on dit ,

la vertu que vous m'^ave:^ enfeignée , Je rai préférée aux confeils que des fia-» leurs rnont donnés. Mais on diroit , fans obferver ni genre ni nombre ,

quoique vous m*aye:^ enfei^né la vertu ^

66 Les vrais Principes

j'ai préféré la débauche ; parceque la nature tna donné des incUnations plus fortes que vos confeils» Ne voit-on pas , dans ces deux frafes , les mêmes Participes ne rien perdre de ee qui leur efl eflentiel , y remplir la même fonâ:ion , exprimer enfin par évé- nement ce qui fait leur valeur objeâ:ive , caractère inconteilable du Verbe ? On les voit feulement changer d'ornement 8i fe revêtir quelquefois , félon le génie de la Langue , de genre & de nombre comme de purs accidens : dans lefquels on ne fauroit trouver rien d'immuable ni de propre à être la bafe d'une défini- tion & à conflater la nature du Participe. Cette parure de genre ne devroit point paroitre aux Grammairiens fi fort étrangère aux Verbes ; puifqu'elle efl dans la Langue Hébraïque un de leurs accidens ordinaires ; qu'elle fe trouve aufH dans le prétérit de la Langue Ruf- fienne. Celuici dit pour le mafculin on :^dhélal il a fait , pour le féminin ona

DE LA Langue Françoise, 67

^^dhélaU dU a fait , & au pluriel onhi ^dhélall ils ont fait. Quoiqu'il n'admette point de variations pour la diilin£^ion des peribnnes , contre l'ordinaire des Verbes , & qu'il en ait pour le nombre & le genre , ainû que les Adjedifs ; il n'en eil pas moins verbe : & je ne crois pas que l'on s'avife de foutenir que le mot idhélal efl employé pour quali- fier une dénomination Se non pour ex- primer une a£tion. A l'occafion de ces pratiques étrangères je prie le Ledeur •de donner avec moi quelque attention à la diverfité des génies qui ont conduit rUfage dans l'établiiTement des Langues. Il verra que dans l'une le verbe prend toujours au prétérit le genre du fujet qui agit & par qui il ell régi : que dans la nôtre le participe prend rarement un genre : & que lorfqu'il en prend c'eil: ce- lui de l'objet de l'adion & non du fujet : cela s'entend dans les verbes aâ:ifs ; car dans les autres il le comporte ditFérem- ment. Tputes ces variétés prouvent bien

68 Les frais Principes

qu'en fait de définition on ne doit point avoir égard à la terminaifon : qu'elle n'eft de nulle reflburce pour nous faire pénétrer dans l'eiTence des efpeces & nous en déveloper la nature.

C'eft ainfi que l'art de la Parole a pris diverfes formes chez les différentes nations , fans ceffer d'être partout apuyé fur les mêmes principes , ayant pour fondement général uniforme & inébran- lable la différence modifîcative de l'em- ploi des mots puifée dans la diverfité fpécifique des idées de l'efprit. Le Par- ticipe n'ayant donc point de fervice dif- tingué de celui de verbe , fa fondion en portant le caradlere , il ne doit pas faire ordre à part , mais doit être mis dans celui du Verbe comme un de fes Modes.

Aurefte je ne difconviens pas que l'U- fage n'en forme très fréquemment des ad« jedifs fans aucun changement dans la ter- minaifon 5 comme dans ces deux exem- ples,

h pain hrûU ^ la viande rot'u^

DE LA Langue Françoise, 69

Mais cela ne change rien à leur nature : ce font alors d'autres mots , faits par for- mation ou dérivation de ternies , tirant .• leur origine des Verbes , & que par cet- te raifon on pourra nommer adjectifs verbaux^ comme on nomme adjectifs no- minaux &c pronominaux ceux qui vien- nent des Noms & des Pronoms. Cette maxime de Grammaire efl confiante , même néceflaire pour fixer avec certi- tude les Efpeces. C'eft ainfi que du par- ticipe y^ir a pris naiffance un fubftantif , fans la moindre altération dans le mot : nous difons , c*cfl un fait certain : au fait , avocat : Us faits font tropfujets à conteflation pour en faire Clinique preuve de la religion. Je me fuis un peu étendu fur cet arti- cle ; parceque les fondemens d'un édi- fice ne fauroient être pofés avec trop de foin ; furtout lorfqu'ils font d'une aufîi grande conféquence que le font les Dé- finitions dans les Ecrits dogmatiques. J'ofe même dire avec confiance que fans

70 Les vrais Principes

ces fondemens les ouvrages de Gram- maire ne feront jamais que des affem- 'blages maltifîûs de règles défedueufes ; qui , quoique faites pour nous guider , s'égareront elles mêmes dans un laby- rinthe d'exceptions ; d'où il ne réfultera qu'un cahos dans l'imagination & un poids affommant pour la mém.oire.

L'ordre la clarté & la précifion me paroiiTent d'une fi grande importance que je ne faurois m'empécher d'ajouter encore une réflexion fur la bizarrerie , non de l'Ufage ni de la Grammaire mais des Grammairiens. Comment après a- voir décidé que les Infinitifs , les Géron- difs , & le's Participes font les uns Sub- ftantifs les autres Adjedifs 5 ofent-ils les placer au rang des Verbes dans leurs Méthodes & en faire des Modes de con- jugaifon ? Pourquoi leur pratique don- ne-t-elle fur le champs un démenti à leur penfée ? C'eft , ce me femble , re- |')longer la lumière dans les ténèbres. J'avoue franchement qu'il n'eft pas en-

DE LA Langue Françoise. 71

mon pouvoir d'être fi inconféqiient : d'autant plus que fi la penfée eil: jufle ; il faut que la méthode foit défe6lueufe ; &: fi la méthode eft bonne ; il faut que la penfée ne foit pas vraie. Reprenons la marche de l'efprit humain dans l'infli- tution des Parties d'oraifon.

En confidérant les qualifications & les allions , on s'eft aperçu qu'elles pou- voient avoit différentes modifications : & comme l'objet de la Parole efl de tout exprimer ; on a cherché le moyen d'é- noncer ces modifications par des mots dont le caradere confiflât dans cette nouvelle idée , qui n'eft aucune des pré- cédentes , n'étant ni dénomination de chofes 5 ni qualification , ni adion , mais fimple modification d'aftion ou de qua- lification. De l'origine 6l la fondion des Adverbes , qui conltituent une fixieme efpece de mots : tels font

prompumcnt , lentement , toujours ^ quelquefois , êcc.

La variété des objets ayant produit

yi Les vrais Princi p es

dans le Langages les difFérentes efpeces de mots que je viens d'expliquer , il étoit naturel que le nombre des mêmes objets ou la répétition des mêmes avions pro- curât l'établiflement d'une feptieme for- te propre à marquer le calcul. Ainfi les Nombres fe trouvent dans toutes les Langues : y font bande à part , étant auiîi différens des autres mots par leurs accidens que par la fource & le motif de leur inftitution. C'efl pourquoi il efl furprenant que les Grammairiens fe contentent d'en faire des liftes , fans leur donner place dans les parties d'oraifon ; comme s'ils n'étoient pas , aufîi bien que les autres mots , enfans légitimes de la Parole & membres néceiTaires du Lan- gage. Quelle autorité leur défend de fe placer en ordre ; puifqu'ils ont un em- ploi modiiîcatif auffi marqué & auflî di- stingué que ceux des autres efpeces } Je ne connois pas cette forte d'autorité : la Nature & l'Ufage , dont ils tiennent leur naiflance ^ leur fervice , ont feuls

un

i>E LA Langue Françoise, 73

un pouvoir fupreme & defpotique; aii^ quel il feroit ridicule d'opofer quelque nom que ce foit. Si la Routine s'avife de faire à la Méthode un reproche d'inno- vation ; celleci lui répondra modefle- inent que ce n'eft pas innover que de rétablir les chofes dans leur état naturel, en fe conformant à l'ufage. Une énumé- ration d'efpeces générales , fous laquelle ne fe trouvent pas compris des mots iifités & qui confond des mots eflencieî- lement différens, n'offre certainement pas un plan exad. Je ne prétens pas néan- moins faire ici un procès à ceux qui ont travaillé avant moi fur la Grammaire; je fais que les premiers travaux attei- gnent rarement à la perfedion : mais je ne crois pas nonplus qu'on foit fondé à m'en faire un fur ce que je réhabilite les Nombres dans les honneurs de la Gram- maire, dont il femble qu'on avoit aifeûé de les dégrader. Je les place donc au rang des efpeces générales ; parcequ'ils en font réellement une , l'idée de Cal- Tome L D

74 t.ES VRAIS PrINC IPES

CUL étant une idée fpéciale , qui en di - flingue l'emploi modifîcatif & qui ne peut fe ra porter à aucune de celles qui conftituent les autres efpeces. Je n'ai en cela d'autre mérite que celui d'une ar- chiteûure régulière , qui n'exclud de fon plan aucun des matériaux que la Langue a mis en euvre , les plaçant tous avec fymétrie dans le corps de fon édi- fice.

Après avoir pourvu aux parties de la Parole propres à exprimer la diftinôion , la dénomination , la déiignation , la qua- lification ', l'aâiion 9 la modification , & le calcul 5 on fentit que le fonds des idées modificatives , fous lefquelles on pou- voit confidérer les divers objets & en parler , n'étoit pas encore épuifé. On obferva qu'il y avoit entre les chofes certains Raports qui faifoient que Tune étoit affedée par l'autre & en recevoir une influence déterminative à quelque manière d'être ou d'agir. L'imagination fit même apercevoir que fon feul pin*

DE LA Langue Françoise. 75

ceau fiifEfoit pour multiplier ces Raports èc en fupofer de nouveaux. Cette idée modiiîcative de Raport exigea des mots propres à l'énoncer , en prélentant ^ les objets fous ce nouvel afpe^. Ainfi prirent naiffance ks Prépositions. Elles vinrent occuper le huitième rang dans Tordre des Efpeces générales dont le Difcours eft coliflruit ; telles font

à 9 en ^ pour ^ par ^ fans :, &C. Leur fervice confifte donc dans Tindi- cationdun raport déterminatif, par leî moyen duquel une chofe en affede une autre. La Prépofition annonce toujours celle qui affede , qu'on nomme le com- plément du raport , & que par cette rai- fpn elle a fous fon régime. Quoique les Préporitions foient en petit nombre ; el- les ne font pas moins un des prin^paux ornemens de notre Langue. Nos Gram- mairiens n'en ont pas encore expliqué la nature ni l'emploi : je n'ai garde de leur en favoir mauvais gré ; mon amour propre fe trouvant trop fatisfait de pou-

Dij

7^ Les vrais Principes voir , après un fi grand nombre d'au- teurs 5 préfenter au Public mon ouvrage comme quelque chofe de neuf. Cette efpece de mots eft d'un plus fréquent ufage dans les Langues analogues que dans les tranfpofitives ; parcequ'elle y fuplée à la variété de la terminaifon , dont cellesci fe fervent.

Si l'on s'eft aperçu qu'on avoit befoin de mots qui fuffent propres à indiquer les Raports qu'on met entre les chofes pour fixer l'idée de l'une par l'idée de l'autre ; on a également s'apercevoir que fe trouvant très fouvent unies & liées enfemble , ou par fimple jonâ:ion ou par des conféquences & des enchai- nemens analogiques , il étoit néceffaire , pour faire un difcours bien fuivi, d'avoir aufîi des mots capables d'exprimer ces Liaifons. Ce qui a mis en ufage une neuvième efpece de mots , dont le nom marque clairement le fervice. Ce font les Conjonctions : tels que

mais y &y ni^ quoique ^ cependant ^ donc^ ÔCC,

DE LA Langue Françoise, 77

Avec toutes ces facilités on fe trou- voit encore en difette de mots pour ex- primer nettement tout ce qu'on vouloit faire entendre. Comment caraftérifer ce qu'on apele tour d'expreffion & mou- vement d'ame ? par exemple , d'interro- gation, de démonflration , d'aveu , d'af- fertion , de commandement , d'impré- cation 5 d'admiration , d'extrait , de (Qn- fibilité , & autres tours pareils. Car l'homme a non feulement envie de faire connoitre l'efTenciel & l'étendue de fa penfée ; il veut de plus en manifefler la manière, c'efl à dire ce dont elle efl elle même afFedée dans fa propre opé- ration. Il faut donc que la Parole puifle également préfenter les images que nous nous formons , & les impreiîions que ces images font fur nous ou que nous vou- lons qu'elles faffent fur ceux à qui nous les communiquons. Ces termes propres à préfenter ces impreiîions ne fe trou- voient pas dans les efpeces précéden- tes ; mais l'induflrie , qui n'a jamais reilé

Diij

78 Les vrais Principes

dans rindigencê , a trouvé dans les tré- fors de la faculté naturelle de quoi four- nir à ce fervice : elle en a tiré pour cet effet les Particules ; dont la notion efl: ici très différente de celle qu'en ont donnée quelques Grammairiens. Us ont compris indifféremment fous ce nom des mots de plufieurs efpeces & baucoup mieux connus par leur propre dénomi- naiiùiî que par ce nouveau furnom, qu'ils ont déiini , une forte de petit mot.^ telles que Us conjonctions , lesprépojitions, & autres de cette nature. Selon cette dé- finition la Particule n'eft pas tout petit mot , m.ais feulement une forte ; favoir laquelle , c'eft ce qu'ils n'ont pas jugé à propos d'expliquer : ils fe font contentés de raporter , par forme d'exemples , les conjondions ôc les prépofitions , en dé- fignant encore d'autres mots pareils à ceuxla fans les nommer. Oferoit-on leur demander quels font ces autres mots qui ne font ni conjondions ni prépofitiorR quoique de la même nature ? la curia-

DE LA Langue Françoise, 79

fité n'eft , ce me femble , pas mal placée ; le defir d'être inftriiit la produit. En at- tendant qu'ils daignent nous bien expli- quer leur penfée , j'afTùre mon Ledeur que je le refpefte trop pour ne pas crain- dre d'abufer de fa patience , en lui pré- fentant des acceptions vagues & indé- cises aulieu de définitions précifes qu'il attend. Je lui dis donc très diflindement & très clairement que je prens le mot de Particule dans un fens propre & par- ticulier à lui feul ; comme j'ai pris & tout le monde prend les mots adverbe , prèpojîtïon , conjonction , & chacun de ceux qui fervent à nommer les autres parties d'oraifon. Ainfi j'en fais une di- xième & dernière efpece , diflinguée de toutes celles qui ont été ci-devant men- tionnées ; ne comprenant dans cet or- dre & fous ce nom que les mots deiïinés à énoncer de fimples tours d'exprefîion & des mouvemens d'ame ; tels que oui i non , cy y que y ^, aih y oh ^ ah y hélas, '^W

D iiij

So Les vrais Principes

Je pouvois donner à cette efpece le nom à^Inurjcciion ufité dans la Gram- maire Latine : mais deux motifs m'en ont «mpéché : l'un de goût , parceque ce mot me paroiflbit n*avoir pas l'air affez françois : l'autre fondé en raifon , parceque le fens en qù. trop reftraint pour comprendre tous les mots qui apar- tiennent à cette efpece. Voilà pourquoi j'ai préféré celui de Particule^ qui efl éga- lement en ufage.

L'art de la Parole n'admet pas d'au- tres modifications générales dans les idées : parconféquent elle roule fur neuf parties d'oraifon dans les Langues Tranf- pofitives 5 & dans les Analogues fur dix. Par leur moyen rexprefiion répond à l'étendue de Tefprit &c marche d'un pas égal avec la penfée : quand on confond l'une ; c'efl marque qu'il y a de l'obfcu- rité dans l'autre ou de l'inattention à toutes les deux. Entre ces dix parties d'oraifon , cellesdes Subflantifs , des Ad-

cellesdes

jeôifs, des VaflBff, & des Adverbes l'ont

DE LA Langue Françoise. § i

les plus nombreufes & font , dans l'étude des Langues , le travail pénible de la mémoire. Je traiterai chacune en parti- culier après avoir parlé de la Conftruc- tion en général , ce que je vas faire dans le Difcours fuivant ; afin de ne pas laifler inconnus les principes que le détail fu- pofera , & de n'être pas obligé de pofer & répéter les maximes communes à cha- que fois qu'il faudra en faire l'a plie ation. Ce fondement eft d'autant plus néceffai- re que , pour abréger & faciliter la mé- thode y mon plan eft de renfermer dans un feul Difcours tout ce qui concerne la partie d'oraifon qui en eft le fujet , foit accidens. foit conftrudion. Le génie de la Langue & le goût de la Nation m'ont paru l'exiger ainii ^ tant pour l'art d'in- flruire que pour la commodité d'apren* dre.

82 tES VRAIS Principes.

III. DISCOURS,

Sur la Conjîrucilon^la Frafe , le Ré- gime y & tout ce qui concerne les règles générales de la Syntaxe.

Ai déjà dit que TUfage étoit également le maître de placer les mots dans l'ordre du dif- cours , comme il 1 etoit de les introduire : de forte xpe. leur arrange- ment n'eft point arbitraire , & qu'il faut à cet égard , comme à tous les autres y fe conformer à ce qu'il a établi : un mot déplacé eft "une aufîi grande faute dans le langage qu'un mot corrompu ou non uiitë. Oiïtre l'arrangement , il arrive en- core aux mots' de varier leur forme , fé- lon les fonctions auxquelles on les de*' ftine & les divers raports qu'on met en- tre eux \ furtout dans les Langues tranf- pofîtives , la termiiîaifon fournit abon- damment à cette variété. Il efl donc ef-

DE LA Langue Françoise. 83

fenciel de connoitre quelle place chaque mot doit occuper & fous quelle forme il doit paroitre. C'eil ce qu'on nomme en François Construction , & ce que les Grammairiens traitent fous le nom de Syntaxe : terme d'art & Grec d'ori- gine , qui dit précifément la même chofe que le terme françois dont je me fers.

Les loix de la Conftrudion ne font pas uniformes dans toutes les Langues : ce qui eft élégance dans l'une efl: défaut dans l'autre : il y a même une diiférence totale entre les Tranfpoiitives & les Analogues. Mais pour bien comprendre ces différences & ces loix, il faut favoir que les Mots ne font pas feulement éta^ blis pour repréfenter chacun une idée ou pour diflinguer un objet : ils font en- core chargés de repréfenter par leur af- femblage l'union des idées , pour expri- mer un fens fuivi , c'eft à dire l'image de la penfée. Cette image , préfentée à l'o- reille par la voix ou à l'euil par 1 ecri-- ture , fupofe néceffairement trois fujets :

Dvj

S4 Les vrais Principes l'un qui peint fa penfée ou qui parle: l'autre à qui l'on montre le tableau ou à qui Ton parle : ôc le troifiéme qui eft peint ou de qui l'on parle. La Gram- îîiaire défigne ces trois fujets par le nom de Personnes, qu'on diftingue dans le difcours en première, seconde , &

TROISIEME.

Lorfque c'efl: de foi qu'on parle ; le difcours fe fait en première perfonne ; comme quand on dit ,

fai beau courir après la fortune je faurois V atteindre,

Lorfqu'on parle de celui à qui on adreffe la parole ; le difcours fe fait en féconde perfonne ; ainfi que dans cet exemple ,

yous dejirei^ ce que vous n'obtiendrez jamais^

Lorfqu'on parle d'autre que de foi & de celui qu'on entretient ; le difcours fe fait en troifiéme perfonne ; comme dans le fuivant y

la bonne compagnie ejl tin école qui inflruit mieux ([iie le collège^

DE LA Langue Françoise, 8^j

En quelque perfonne que le difcours s'exprime , tout afîemblage de mots fait pour rendre un fens eft ce qu'on nomme Frase. I>e forte que c'eft le fens qui borne la Frafe : elle commence & finit avec lui : & félon qu'il eft plus ou moins compofé , elle eft plus ou moins nom- breufe. Plulieurs fens particuliers réunis ou liés pour en former un qui réfulte de la totalité font la frafe qu'on nomme PÉRIODE. Un feul fens confidéré à part, foit lié foit ifolé, fait la fimple frafe. La Période change de forme & d'ordonnan- ce félon le nombre de (qs membres & k degré de leur liaifon. De ce degré de liaifon dépend la vraie règle de la Pon- ftuation ; comme on le verra quand nous en ferons à ce qui concerne cette partie de l'Orthographe , que je referve pour la clôture de mon ouvrage.

Si dans le cours d'un difcours fe trouve fréquemment de ces réunions de fens y & qu'elles y foient exprimées par ks termes deftinés à remplir cet em-

86 Les vrais Principes

ploi ; cela fait le ftile lié : fi elles y font rares ou fupofées & non énoncées; cela fait le Stile coupé : première divifion du Stile profaïque , qui en admet auiîi bau- coup d'autres. Car non feulement le plus ou le moins de liaifons entre les frafes & l'attention à énoncer ou à fupofer ces liaifons , mais encore le choix des ex- prefîions baffes ou nobles , des termes naturels ou recherchés , des mots pro- pres ou impropres , l'emploi litéral ou figuré , la netteté ou la confufion de l'ar- rangement , la diclion mefurée ou né- gligée , la hardieiTe des tranfpofitions ou l'attachement fervile au tour vulgaire de la frafe font autant de fources diffé- rentes d'où naiffent les di verfités du Stile, Qui en donneroit une fine &: critique expofition feroit fans doute un préfent gracieux au Public : la matière efl digne d'occuper une pluûie délicate. Comme cet article n'efl point de ma tâche y n'ayant d'autre but dans mon travail que les principes de la Parole 6c non fes^

IDE LA Langue Françoise. 87

élégances ; j'abandonne toutes les obfer- vations qu'on pourroit faire fur le Stile, pour me borner uniquement à ce qui regarde l'union grammaticale des mots. Cette forte d'vmion établit entre eux un RÉGIME , qui eil très diftingué de ce que je viens de nommer y?/7^; ce dernier confiHant dans des raports de conve- nance dont le gouî fait choix pour la conduite du difcours , & l'autre dans des raports de dépendance fournis aux rè- gles pour la conllru^lion de la frafe. Je vas en donner une explication bien dé- taillée , capable de mettre au fait de la Grammaire les perfonnes que l'état ou la négligence a empêché de s'en in>- fbruire.

Le Régime n'efl autre chofe que le concours des mots pour l'exprelîion d'un fens ou d'une penfée. Dans ce concours de mots , il y en a qui tiennent le haut bout; ils en régilTent d'autres, c'eâ à dire qu'ils les affujettilTent à certaines ioix : il y en a qui fe préfentent d'un air

88 Les vrais Principes

fournis ; ils font régis ou tenus de fe conformer à L'état & aux loix des au- tres : & il y en a qui , fans être affujettis ni en affujettir d'autres , n'ont de loi à obferver que celle de la place dans l'ar- rangement général. Ce qui fait que quoi- que tous les mots de la frafe foient en régime , concourant tous à l'exprefîion du fens , ils ne le font pas néanmoins de la même manière ; les uns étant en ré- gime dominant y les autres en régime affujetti , & des troifiemes en régime li- bre , félon la fonâ:ion qu'ils y font.

Puifque le Régime tend à former un fens en réuniffant les mots par un con- cours réciproque de chacun d'eux ^ & que ce concours n'eft que le raport mu- tuel de leurs fonctions particulières ; Il faut bien connoitre le nombre & la qua- lité de ces différentes fondions. Elles conflatent les parties qui peuvent être admifes dans la ftrudure de la frafe , pour en faire le tableau de la penfée. Je trouve qa il faut d'abord un fujet & une

DE LA Langue Françoise, 89

attribution à ce fujet ; fans cela on ne dit rien. Je vois enfuite que l'attribution peut avoir, outre fon fujet, un objet ^ un terme, une circonftance modifîcati- ve , une liaifon avec une autre , & de plus un accompagnement étranger ajou- té comme un hors-d'euvre , fimplement pour fervir d'apui à quelquune de ces chofes ou pour exprimer un mouvement de fenfibilité occaiionné dans Tame de celui qui parle. Voilà donc fept parties conflruâ:ives ou fept différentes fonc- tions que les mot§ doivent remplir dans lliarmonie de la frafe. II faut que les uns. énoncent le fujet : que les autres expri- ment l'attribution faite au fujet : que quelquesuns en marquent l'objet : que d'autres dans le befoin en repréfentent le terme : qu'il y en ait , quand le cas échoit , pour la circonflance modifica- tive , ainlî que pour la liaifon toutes & quantes fois qu'on voudra raprocher les chofes : il faut enfin énoncer les accom- pagnemens acceflbires lorfqu'il plaira à

ço Les vrais Principes

l'orateur d'en ajouter à la penfée. -^ J

Donnons maintenant à ces parties ' 1 conflrudives des noms convenables & ^ bien expliqués ; qui , les dillinguant l'une de l'autre & indiquant clairement leurs fondions dans la compofition de la frafe , nous aident à pénétrer dans l'art de la Conflruaion. Car enfin c'efl par leur moyen qu'on forme des fens : qu'on tranfporte & qu'on peint dans l'ef- prit àQs autres l'image de ce qu'on pen- fe foi-même.

Tout ce qui e/l employé à énoncer la perfonne ou la chofe à qui l'on attri- bue quelque façon d'être ou d'agir, pa- roiffant dans la frafe comme Sujet dont on parle , fe nomme par cette raifon Subjectif. Il y tient le principal rang, toujours en régime dominant, jamais en affujetti.

Ce qui fert à exprimer l'aplication qu*on fait au fujet, foit d'adion foit de manière d'être , y concourt par la fon- âion d'Attribution ; puifque par fon

DE LA Langue Françoise, ^i

moyen on aproprie cette adion à la perfonne ou à la chofe dont on parle. Il fera donc très bien nommé Attri- butif. Il eft immédiatement foumis au Subje£lif , toujours obligé d'en fuivre le nombre & la perfonne quelquefois mê- me le genre : parconféquent il eil à fon égard en régime affujetti.

Ce qui efl defliné à repréfenter la chofe que l'attribution a en vue & pai* qui elle eft fpécifîée figure comme Ob- jet. De forte que je nefaurois lui donner lin nom plus convenable que eelui d'Os» JECTIF. Il eft toujours régi par l'Attri- butif.

Ce qui doit marquer le but auquel aboutit l'attribution ou celui duquel elle part préfente naturellement un Terme, Cette fonftion le fait nommer Termi-

NATIF.

Ce qu'on emploie à expofer la ma- nière , le temps , le lieu , &. les diverfes circonftances dont on affaifonne l'attri- i)ution gardera le nom de Circons-

9^ ^Es VRAIS Principes tanciel; piiifque toutes ces chofes y paroiffent d'un air de Circonftance.

Ce qui fert à joindre ou à faire un enchainement de fens ne peut concourir que comme moyen de Liaifon ; parcon- féquent fon vrai nom eft Conjonctif. Il n'eft fous le régime d'aucune des au^ très parties & a fouvent l'Attributif fous le fien.

Ce qui efï mis par addition , pour apuyer fur la chofe ou pour énoncer le mouvement d'ame , fe place comme fim- ple Accompagnement ; c'ef! pourquoi je le nommerai Adjonctif.

Autant qu'il eil nécefTaire de donner une attention particulière à ces termes de Subjectifs Attributif, Objectif, Termi^ natif, Circonflancîd s Canjonctif, ÔC Ad^ jonclifs pour connoitre parfaitement les règles de la Conflrudion ; autant il eft important de s'en rendre l'ufage fami- lier, pour épargner les circonlocutions, avoir des exprefTions propres à traiter l'art , ainfi qu'à conduire & fixer les

DE LA Langue Françoise. 9}

idées de ceux qui fouhaitent s'inflruire. Surtout il ne faut jamais oublier que ce font fept différentes parties conftrudi- ves , fur lefquelles roulent l'ordre & la compoiition des frafes, ou fept membres qui en forment le corps. Ainfi la confé- quence dont efl leur notion m'engage à rendre , par des exemples , mes défini- tions fenfibles , aux rifques de paroitre im peu prolixe. L'analyfe de la période fuivante fufîira.

Monjieur 3 quoique le mérite ait ordinal" rement un avantage foUdc fur la for- tune; cependant , chofe étrange ! nous donnons toujours la préférence à cel" leci. Cette période eft compofée de deux frafes , dans chacune defquelles fe trou- vent les fept membres mentionnés. Il efl maintenant queflion de montrer par quel mot chacun y figure.

Le Subjedif eft énoncé dans la pre- mière frafe par ces deux mots le mérite èc dans la féconde par nous ; parcequlls

94 Les vrais Principes'

y reprëfentent un fujet à qui Ton attri- bue une adion , qui efl pour ic mérite celle d^avoir ôc pour nous celle de don- ner,

L'Attributif fe voit dans ait & don- nons ; puil'qu'ils y fervent à apliquer l'é- vénement au fujet. Ce que chacun fait en fuivant le régime auquel l'affujettit fpn Subjeôif; aitfe trouvant au fingu- liier & à la troifiéme perfonne pour fe conformer à fon fubjeôif qui efl le méri- Uy & donnons à la première perfonne du pluriel parceque nous , qui efl: fon fub- je£lif , efl: de pareil nombre & de pareil- le perfonne.

L'Objedif efl exprimé dans lune de ces frafes par ces mots un avantage foli- de^&c dans l'autre par ceuxci la préfèrent ce : car ils y fixent l'attribution à un ob- jet détermina entre tous ceux qu'elle pourroit avoir, en nommant la chofe qu'on veut que le mérite ait & celle que nous donnons.

Le Terminatif devant repréfenter le.

DE LA Langue Françoise, 95

terme fe porte l'attribution , foit gé- nérale foit fpécifîée par quelque objet , il eft vifible qu'en cette occafion il figu- re dans ces mots fur la fortune & dans ces autres à celUcL

Le Circonflanciel de la première fra- fe eft ordinairement , celui de la féconde toujours ; puifque ces deux mots n'ont d'autre fervice que d'énoncer une cir- . confiance qui modifie l'attribution en forme d'habitude*

Le Conjondif fe préfente ici dans les mots quoique èc cependant. Ils y lient les deux fens exprimés par les deux frafes ; de manière que l'un a raport à l'autre , & qu'il en réfulte un fens complet , qui fait celui de la période.

L'Adjon£lif eft dans le premier mem- bre de la période monfieur , dans le fé- cond ces deux mots chofe étrange. Car, peu efTenciels à la propofition, ils ne font que par forme d'accompagne- ment : l'un pour apuyer par un tour d'apoftrophe : l'autre pour joindre à l'ex-

C)6 Les vrais Principes prefTion de la penfée celle d'un mouve- ment de furprife ôcde blâme.

Voilà le principal myilere de la Conf- truâ:ion & fon premier fondement aflez fenfiblement démontrés dans ranalyfe que je viens de faire. La connoiiTance en eft indifpenfable à qui ne veut pas être continuellement dans l'incertitude que laiflent des Principes mal digérés , ni floter entre un flus & un reflus per- pétuel de règles & d'irrégularités.

Aurois-je à craindre ici qu'on ne me fit un crime d'avoir fubflitué d'autres noms à ceux de Nominatifs Ferhe , Cas > Adverbe s dont on s'eft fervi jufqu'à pré- sent dans les Ecoles pour nommer les parties de la frafe ? Non , on eil aujour- dui trop dégagé des préjugés i& trop amateur de nôtre Langue pour prendre parti contre une méthode uniquement parcequ'il y en a ime autre , fans exa- miner laquelle des deux a l'avantage , foit par raport à l'art , foit par raport à fon fujet. Je ne crois donc pas avoir des

frondeurs

DE LA Langue Françoise, 7^

frondeurs à redouter : Se j'efpere que Ton conviendra avec moi que le refpeâ: du aux anciens ufages ne peut jamais fon- der une prefcription contre la vérité : qu'en fait d'arts & de fciences la raifon eft fupérieure à l'autorité : que ce n'efl: donc point par afFedation ni par efprit de fmgularité que j'ai abandonné ces termes de l'Ecole ; mais uniquement parcequ'ils m'ont paru ne pas convenir à la méthode frarçoife. En effet n'étant qu'au nombre de quatre peuvent-ils pondre au nombre de fept ? qui , com- me on vient de voir, efl: fans contefta- tion celui des membres qui peuvent en- trer dans la flru£^ure de la frafe. De plus ils n'indiquent pas nettement la nature de ce qu'on veut qu'ils défignent ni la façon dont ces membres figurent entre eux. Bailleurs établis pour repré- fenter d'autres idées totalement diflin- guées de celles dont il s'agit ici , ils cau«i fentde la confulion &de l'embarras dans l'efprit des per fonnes qui ne font pas ag* Tomsl^ fi

^^ Les y rais Princ i pes

coutumées à ce ftile fcolaflique & ter- giverfant , les termes changent à tout moment de valeur , & oii les mots introduits pour la précifion ont fouvent eux mêmes befoin d'un cortège d'ob- fervations pour être bien entendus. Car enfin verh & adverbe fervent à nommer deux efpeces dans les Parties d'oraifon : cas ell un terme établi pour marquer en général les diverses terminaifons dont les Subllantifs & les Adjeftifs font fuf- ceptibles dans les Langues tranfpofiti* ves ; & nominatif ^\ï le nom de l'un de ces cas ou de Tune de ces terminaifons. Voilà les idées qu'ils préfentent dabord plutôt que celles de membres de frafe. Ce n'eil que par une féconde réflexion & par une aplication nouvelle qu'on ra- pele , quand il le faut , ces dernières idées , dont on les a encore chargés, ajoutez à cela que nôtre Langue ne con- çoit ni cas ni nominatifs & que fon régi-- me ne fe manifcfte pas , comme en La^* im , par la variation diîs terminai/ons»

DE LA Langue Françoiss. 99

Amfi ces expreffîons n'ayant aucune analogie avec les raports qui y font fi- gurer les mots , ou comme fujeî , ou comme objet , ou comme terme d'at- tribution , ou comme circonflance , ou comme lien , elles lui font toutafait étrangères & y forment un langage bar- bare qui choque également l'oreille le fens & le goût François. Enfin dans tou- tes les Langues , même dans les tranfpo- iitives , c'eft fouvent par toute autre chofe que par des Nominatifs , des Cas, & des Adverbes que l'on conilruit des frafes & qu'on forme des fens, quoique toujours par le moyen des membres mentionnés ; auxquels il faut parconfé- quent donner des noms qui leur conviens nent, fous quelque forme qu'ils fe pré- Tentent. Lorfqu'on dit , par exemple - en François,

prêcher fans cefe ne contribue en ait^ cune façon à convertir ; & en Latin ,

tamis impediri occupationihus tepm^ fente folet ejfe moUflum , £ jj

tôo Les vrais Principes ne voit-on pas ces deux frafes formées des mêmes membres fans qu'il y ait rien néanmoins de ce qui ell proprement no- minatif cas & adverbe ? Comment nom- mera-t-on dans le détail les expreffions ae chacun d'eux? N'efl^l pas choquant de donner à un verbe & à une prépofi- tion le nom de nominatif ou de cas ? & celui à'adverbe à un fubftantif ou à un pronom- accompagné de fon adiedif ? Quoi donc de plus à propos que de ti^ rer de leurs propres fonaions des noms analogues , toujours convenables , qu'on puiffe apliquer à toutes les fortes de mots dont on voudra fe fervir pour remplir ces fondions? Ne fe fait-on pas auffi mieux entendre des perfonnes qui ont le bon-fens en partage en difant que ces ex. prenions fervent à énoncer le fujet , l'attribution , la circonftançe , & l'objet ae l'aaion , qu'en difant qu'elles font le nominatif, le verbe , l'adverbe , &c le cas de la frafe ? Termes d'autant plus j/î)propres en. ces occafions qu'outre

î}E LA Langue Françoise, ios'

qu'ils ne répondent ni au nombre ni à îa qualité des fondions fous lefquelles les expreflions figurent; ils préfentent encore une autre idée qu'on n'y ren- contre pas. Ces raifons doivent toucher, furtout les maitres de l'art, qui favent de quelle importance il efl: de ne point faire abus des termes dans les ouvrages de méthode &:d'in{lru£l:ion. N'efl-cepas cet abus qui a fait voir à un de nos meil- leurs efprits des chimères de difàculrés dans nôtre Langue ? Il n'a pas héfité à dire que dans cette frafe ,

une infinité de perfonms ont réfolu defe liguer , le régime étoit contraire à la règle ordi- naire de la Grammaire , en ce que le ver- be n'étoit pas régi par le nominatif //z/f- nité qui eft au fmgulier mais par le géni- tif/^^{/é'/z/z^^ qui eil: au pluriel. Le terme de nominatif {\\\ a fait confondre ici l'idée d'un membre de frafe avec l'idée d'un cas de déclinaifon. Ce qu'il n'auroit pas fait fi aulieu du terme de nominatif i^-^n.^

Eiij

ICI Les r Ruiis Principes la flru£^iire de la frafe celui dcfuBJecHf a voit été en iifage. Il auroit vu, dans cet exemple , que ce membre ne canfif- îoit pas feulement dans le mot infinité 3fnais dans ces quatre enfemble une infi-^ nid de perfonnes : que parconféquent FAttributif ou le verbe étoiî & devoit^ félon la fyntaxe ordinaire y être régi par îa colledion de tous ces mots ôc non par un d'eux féparément des autres. Il auroit encore vu, s'il avoit eu les idées françoifes , que nôtre Langue n'a point de cas : que de n'eil pas plus le caraûere ^v.n génitif dans ce premier exemple que dans celuici ,

il eji parti de grand matin : que ce petit mot eil une prépofition placée entre deux fubflantifs , pour mar- quer le raport qu'il y a de l'un à l'autre , confiilant à fpécifîer l'infinité par l'indi- cation de ce qui la compofe. A l'égard du nombre il efl vrai que le fécond fubf- tantif fe trouvant au pluriel & faifant partie du Subjeûif^il détermine ce mem-

Î)ELA LANGVÊFRAnçOÎSE. 10%

bre de frafe au pluriel , à quoi parcon- féquent l'Attributif s'alTujettit : mais tout cela Ce fait fans nominatif ni génitif, de la même manière que dans cette autre frafe , le coUedif efl un adverbe ,

bien des gens font venus me voir» Il ne faut pas nonplus être étonné qiiê dans la même forte de frafe le verbe foit au fmgulier lorfqu'il ne fe trouve rien de pluriel dans le Subjectif, & qu'on dife" par exemple ,

une infinité de monde a péri dans cette attaque. Ce régime eft dans la règle la plus fim^ pie & la plus ordinaire.

Enfin s'il y a quelquun d'à fiez mau-^ vaife humeur pour fulminer contre mes termes ; je le prie de m'en fournir d'au- tres & le nombre convenable. Si l'habi-' tude l'empêche de changer fes expref- fions , quoiqu'il en voie l'imperfedlion ôc rinfufîifance ; Je refpe£terai une chaine dont je connois la force ; ma tâche ne confluant qu'à trouver le vrai & à dire

t04 Les vrais Principes

ce que le fujet exige , non à le faire goû- ter aux hommes , c'eft leur affaire pro- pre. Tout auteur ne doit avoir d'autre prétention ni d'autre vue que de bien traiter fa matière. Je demande feule- ment à cet homme 5 fi conilant dans les maximes qu'on lui a fuggérées , qu'il ait îa politeffe de ne pas fronder un goût autorifé par le génie de la Langue Fran- çoife 5 fondé en raifon , &c qui n'a d'au- tre contradiQeur que l'impuiffance de renoncer a l'habitude : foibleffe auffi or- dinaire à l'Efprit qu'au Cœur.

Après avoir expliqué les diverfes fon- dions des membres qui, entrant dans la ftrudure de la frafe , font l'objet de la Conftru£tion , & leur avoir donné des noms convenables ; il me femble que les obfervations fuivantes fe préfentent naturellement.

On voit dabord qu'il n'eil pas effen- ciel à la frafe de renfermer tous ces membres, TAdjonâif s'y trouvant rare- ment^ le Conjonàif n'y ayant lieu que

DE LA Langue Françoise, ioç

lorfqu'elle fait partie d'une période &; pouvant même n'y être pas énoncé* Souvent il n'y a point de Terminatif nonplus que de Circonitanciel ^ comme dans cet exemple ,

les Dieux aiment le nomhu impair. D'autres fois on n'a deflein que d'expri- mer la fimple adion du fujet , fans lui donner ni terme ni objet , & fans l'affai- foner de circonilance ni d'aucun ac- compagnement ; comme quand on dit,' Titus aime. Les ennemis craignent. Nous

fommes perdus. De cette première obfervatîon fuît néceiTairement celleci ; que les-menv bres fans lefquels on peut abfolument conflruire une frafe font les cinq der- niers ; mais qu'elle ne fauroit fe palTer de Subjeûif ni d'Attributif, ou expref- fénient énoncés ou dumoins foufenten- dus ; parcequ'il n'y a point de difcours jfaus un fujct dont on parle & fans attri- bution pour qu'on en parle. Ce Subjec- tif eil touiours énoncé dans les Langues

Ey

to6 Les vrais Principes

analogues par quelque mot deftiné à ce fervice & diftingué de ce qui énonce TAttributif : aulieu que dans les Lan- gues tranfpofitives un feul &: même mot remplit ces deux fonâiions lorfque le Subjectif doit être exprimé par l'un des trois, pronoms perfonnels ; le génie de ces Langues ayant établi que l'Attribu- tif par fa terminaifon feroit connoitre la perfonne , & feroit alors fuffifant pour énoncer le fuiet & l'attribution. Le La- ïin dit donc en un feul mot ce que le François dit en deux i

ambulac y timcs ^ odimus,

U marche y vous craigne-:^ , nous haïffbns.

Il faut encore obferver que ces mem- bres de frafe peuvent être ou fimples ou compofés. Ils font fimples lorfqu'ils font formés d'un feul mot , ainii que dans cet exemple.

Ccfar fut toujours victorieux , Ils font compofés lorfqu'ils font formés de pluûeurs mots réunis : & cette réunioft peut fe faire en trois manières»

i>£ LA Langue Françoise, loj

La première fe fait par le régime : il difpofe & unit tous ces mots de façon qu'ils ne concourent qu'à un feul point : le $ubjeâ:if ne renfermant qu'un fujet,. l'Attributif qu'une attribution > & ainfl des autres membres , comme dans la frafe fuivante ,

le. plus profond des Pkyjicîens ne con^

noitpas avec um certitude évidente U

moindre des rejforts fieras de la na*^

ture.

Le Subjeôif y préfente un fujet unique

par les cinq premiers mots : l'Attributif

une attribution négative par les trois

fuivans : le Circonitanciel de même une

feule circonilance par les quatre qui

viennent après : enfin l'Objedif qu'un

objet par les huit derniers mots.

La féconde manière dont les mots fe réuniiTent pour former un membre de- frafe eil par jonûion : la pluralité des mots s'y trouve pour marquer la plura- lité des chofes qui font le cara£lere diî membre \ ç'eft à dii'e qu'alors le Subjec^

ïo8 Les vrais Principes

tif renferme plus d'un fujet , l'Attributif plus d'une aftion , l'Objeclif plus d'un objet , le Circonftanciei plus d'une cir- conftance , & les autres membres pa-» reillement : telle eil cette frafe ,

hélas ^ madame i vôtre fils & vôtre fil U font & feront toujours fans inquiétu^ de la caufe de vos maux & lafource de vos chagrins. On voit bien que chaque membre a une double énonciation. L'Adjonélif préfen- te un mouvement d*ame par hélas &: un apoilrophe par madame. Le Subjeâ:if comprend deux fujets vôtre fils & vôtre fille, L'Attributif énonce pdLsfont & fe^ Tont une attribution préfente & une fu- ture. Le Circonilanciel exprime pareil- lement deux circonilances , l'une de temps par toujours , & Tautre de maniè- re par ces mots fans inquiétude, Eniîa rObjedif renferme deux objets, la caufù 4e vos maux & lafource de vos chagrins»

La troificme manière de réunion efl p^r çQÎiérçnçç de frafe, Algn If niesi-»

'De la Lan g Françoise, ic^ bre compofé eft lui même une frafe conftruite de fes membres particuliers ^ mais fubalterne d'une autre dont elle fait portion y ainfi que dans cet exem* pie,

qui cherche trop la fat'isfacllon des fens trouve Couvent ce qui le fait cruell%^ ment foufrir. Le fujet à qui l'on attribue l'ai^ion de trouver & l'objet qui fpéciiîe ce qu'oîx trouve font énoncés chacun par une fra- fe conilruite de quatre membres ; cba- evme cependant ne fait qu'une portioi^ de frafe à l'égard du total y favoir um Subjedif & un Objedif , qui , avec F At- tributif trouve & le Circonflanciel/bï/- vent , forment le fens parfait de ce qu'oiî veut dire.

Ces obfervations faites , îl convient de rechercher avec foin toutes les diffi- rentes fortes de frafes qui en refultent ^ pour les ranger méthodiquement fous leurs efpeces générales. Comme il ne fuffit pas définir ^ qu'il efl déplus très

ifo Les vrais pRi^ciPÉr

important d'avoir des termes propres à la matière qu'on traite ; on trouvera boiï que je diflingue par des noms tout ce qiie je définirai & analyferai , & que, s'il n'en eu point dans nos anciens maitres , JQ permette à mon fujet de les créer.

Qu'on fe reflbuvienne de la diflindion; que j'ai faite , dès le commencement de ce difconrs , entre la fimple frafe & la période. Ce que celleci a de propre re- gardant plus le ftile que le régime > ce n'eft que de la frafe fimple dont il efl ici queflion. On peut la confidérer par qua- tre points de vue , par le fens , par le nombre des membres, par renonciation de ces membres > & par la forme de la, ÛYudxire,

En confidérant la frafe par raport ait fens , on la trouve de trois efpeces. Car elle peut n'avoir qu'un fens commencé €Hi fufpendu , fervant fimplement à énon- cer un des membres néceffaires à l'ex* preflion d'un fens entièrement formé : dc îe crois qu'en cette oççdSioa le nom

«>£ LA LAi^i^vE Françoise, ni Frase subordinative lui convient très-bien : telle eft celle-ci ,

qui a baucoup cT ambition ; il eft clair que le fens n'eil pas ache- vé 5 & qu'elle doit être partie d'une au- tre plus nombreufe, foit comme fubjec- tif ou comme terminatif :

qui a baucoup cT ambition goûte peu la vie tranquille :

il ne faut pas trop Je fier à qui a baucoup d'ambition :

La frafe peut auiïi avoir un fens formé mais lié à un autre par un rapport , ou de dépendance pour faire un compofé, ou de pur affemblage pour former un to- tal. Alors je la nomme Frase relative: telles font celles, des deux exemples fui- vans 5 dont le premier montre un raport de dépendance , &: le fécond unfimple raport de parties ralTemblées :

quoique la nature infpire à l'homme l'a- mour de la libertin il ne travaille néanmoins qu à fe forger des chaines :

il faut que le Courtifanfe prépare a tçus Tome /,

Jll2 Les VKAtS PRtîTCIPES

Us événemens , faveurs & dl/graces t -

qi^il nefoit ni enorgueilli par les unes

ni ahatupar les autres, Lafrafe enfin peut feule fans lefecours^ 'd'aucune compagne exprimer un {qï\s ^parfait & fini ; comme quand on dit : nous cherchons envain le bonheur hors

des fentimens & des pratiques de la

piété chrétienne : Se c'efl ce qu'on nomme Frase déta-

CHÉEr

Si on examine la frafe par le nombre des membres dont elle eil conflruite ; on verra qu'elle fe divife pareillement en trois efpeces.

La première , que je nomme Frase INCOMPLETTE , fe bornant aux mem-» bres effenciels Subjeâ:if & Attributif, n'a ni Objedif ni Terminatif ni Cirçonfr tanciel :

les Politiques dljjîmulent f

on apele :

yous aime^^ z

alU\^ donc.

DE LA Langue Françoise. 113

La féconde, que je nomme Frase

COMPLETTE, cft celle dans laquelle,

outre le Subjeûif & l'Attributif, fe trou-

vent encore les trois fuivans, Objeaif

Terminatif Circonftanciel , ou quelquun

d'eux félon que la nature de l'attribution

le requiert , comme dans ces occafions ,

r homme donne trop légèrement fa con^^

fiance aux adulateurs :

. h fanfaron infulte le foible :

r ambitieux facrifie tout à la fortune :, le traitre ment impudemment, La troifieme , que je nomme Frase in- tégrale, eft celle qui renferme tous les membres mentionnés dans l'énumé-'. ration : telle eft celleci ,

monfieur fi vous me faites promtcment

réponfe : dans laquelle ils font tous fept diftinae- ment énoncés , chacun par un feul mot & dans l'ordre fuivant; l'Adjonaif par monfieur, le Conjonaif par/, le Sub- ieaif par vous , le Terminatif par me ; l'Attributif ^^r faites , le Circonftanciel

ÎÏ4 ^^s VRAIS Principes

"p^r promptement , enfin TObjeaif par ré^ ponfc. On voit, par ces définitions corn- me par les exemple raportës , que le Conjondif & l'Adjondif font indifférens pour déterminer la frafe à être ou corn- plette ou incomplette ; mais qu'ils font néceffaires pour la rendre intégrale.

Lorfqu'on regarde la frafe par l'énon- ciation de fes membres ; on y remarque trois différentes faces , félon les diffé- rentes manières dont ils y font énoncés. Ils peuvent l'être par une expre^ionfim- pie, c'eft à dire par un feul mot dénué de tout accompagnement excepté de l'article & de ce qu'on nomme auxiliai- re ; car ces deux fortes de mots s'unifTent fi fortement aux autres dans renoncia- tion d'un membre de frafe qu'ils n'en al- tèrent point la fimplicité. On peut auflî énoncer ces membres par plufieurs mots unis enfemble. Déplus le Subjeftif ou l'Attributif & quelquefois même tous les deux peuvent n'y être pas expreffément énoncés mais y être Amplement foufen-

DE LA Langue Françoise, 115

tendus. Je nomme Frase simplifiée la première manière , telle que celleci ,

le cœur trompe foiivent Vcfprit, Je nomme Frase compliquée celle oii les membres fe trouvent énonces de la féconde manière, comme dans l'exem- ple fuivant,

celui qui menace le plus r^efl pas dans Voccajion le plus à redouter. Je nomme Frase implicite celle dont les membres efTenciels font foufenten- eus , ou dont l'un des deux Teft , ainû que dans les fuivantes ,

À moi camarades ,

heureux Vhommefans attachement !

pourquoi fe fier à des témoignages fuj^

pecis ?

La frafe vue par la forme de la ftru- ôure a auiîi trois différences effencielles & générales , qui conflituent tout autant de formes : l'une Expositive , la fé- conde ÏMPÉRATivEjÔcla troiiieme Interrogative. Chacune de ces for- mes influe d'une façon particulière fuf

îî6 Les vrais Principes

l'harmonie des membres. La frafe eft Expofitive par fa forme lorfqu'elle dé- crit fimplement ; foit en narrant , foit en faifant une hypothefe , foit en tirartt une conféquence :

r intérêt^ Le plaïjîr ^ & la gloire Jo ni Us trois grands mobiles de nos actions 6", de nôtre conduite :

les hommes feroicnt tous heureux Ji f é^^ quité les gouvernoit tous :

il faut quil y ait des pajjîons pour quil, y ait des vertus.

Elle eft Impérative lorfqu^elle fait en* tendre qu'on exige quelque chofe ; foit par commandement , par exhortation , ou par fuplication. Ce qui s'exécute dans les Langues tranfpofitives par des terminaifons deilinées à cet effet ^ & qui conflituent un des Modes de leurs Ver- bes. Mais dans nôtre Langue cette for- me fe donne à la première & féconde perfonne en fuprimant le pronom qui devroit être le Subje£i:if & mettant en apoftrophe toute dénomination à qui ^'adreffe le difcours :

2)£ LA Langue Françoise, i 17

fuyons la mauvaife compagnie :

nattens pas au kndanain ;

ohéijfci^ au prince ;

mortels gardc^^vous des apas féducieurs^ Pour la troifiemc perfonne l'on ne fii^ prime rien ; on ajoute feulement la par- ticule que^ & l'on met le verbe au mode fubjondif. On diroit donc ,

qiiil aille :

qiiils écoutent :

que chacun fajfe fon devoir :

que les troupes aient défilé avant la nuit, La frafe ell interrogative loriqu'elle a un tour d'enquête ; qu^'elle peut prendre par manière de queftion , de doute , ou d'avis ) comme on voit dans ces çxem- pies,

qiCavc^^ vous réfolu ?

quoi faire dans ces circonjlances ?

que ne profitoit-il de Coccajioti ? Cette forme fe donne par trois moyens; Le premier , en plaçant à la tête du ré" gime l'un de ces pronoms relatifs qui, lequel^ que ^ quoi, foit comme Subjedif,

pbjeclif ou Termiïiatif ;

tîS Les vrais Principes

qui trouvera la pierre philofopkaU ?

laquelle des deux vous a plu ?

que faire à tout cela ?

à quoi s^amufer en pareille compagnie } Le fécond moyen efl en joignant à la dénomination l'adjeâif pronominal quel :

quel monjlre vous a fait peur ?

Quelle femme prendre pour ne s"* en pas repentir } Le troifîeme moyen eu de tranfporter le Subje^lif après le veibe qui fert à énoncer l'Attributif. Mais il faut obfer- ver il ce verbe efl d'un feul mot ou s'il eft compofé du participe &c de l'auxi- liaire , & fi le Subjectif efl un de ces huit pronoms ,ye , tu , vous , nous , il , elle , ou y ce, ou quciqu'autre expreffion ; parceque cela fait quelque différence dans la tranfpofition. Lorfque le Subje- €iii eft un des pronoms mentionnés , ce qui arrive aflez ordinairement; fa tranf- pofition ne va pas jufqu'au-delà du par- ticipe joint à l'auxiliaire ; il fe contentç de fe placer entre eux ;

DE LA Langue Françoise, i 19

ai-J6 bien expliqué ce détail de Syn-»

taxe } as-tu profité de fa bonne volonté ? ave:^vous fatisfait à vos engagcmens ? fommes-nous plus heureux dans V éleva.-'

tion que dans la médiocrités^ font-ils arrives à temps ? auroit-elle trahi fin ami ? Ce voit-on des mêmes yeux dont on re-

garde les autres ? eJl'Ce docilité que de facrifier la raifon à ^opinion des hommes ? Lorfque leSiibje^lif eft énoncé par d'au^ très mots que par qiielqimn de ces huit pronoms , ce qui n'arrive que dans les frafes qui commencent par que quoi ou quel ; alors fa tranfpofition va toujours jufqu'après le verbe entier , quoique compofé d'auxiliaire & de participe : qiiavoit fait vôtre fille pour la corriger

fi rudement ? à quoi auraient fervi vos remontrances } quel crime a commis cet homme } On peut ajouter au pronom de la troi«

120 Les vrais Principes

fîeme perfonne une dénomination pro- pre qui ferve à énoncer conjointement avec lui le Subje<ftif. Alors la dénomi- nation marche avant le verbe , fans em- pêcher que le pronom ne vienne qu'a- près pour donner à la frafe la forme in- terrogative :

la femme ejl-elle par fin ejfence aujfi

raifonnable que r homme } & Vhommt

ejl-il moins dominé par V amour-pro»

pre que ne Vefl la femme ?

Il faut encore obferver ici que lorfque

le verbe qui énonce l'Attributif à la

première perfonne fînii par un & muet

on y ajoute un accent aigu :

aime-je à boire ? ne m"* en prcffe:^donc pas:

duffé'jc déplaire ? je ne trahirai point

la vérités

A la troiiieme perfonne on ajoute un c

entre deux tirets , quelle que fpit la

voyele qui termine le verbe :

lefagc a-t-il toujours la vertu pour mo" bile } ne s en écarte-t-il pas quelque-, fois }

Voilai

DE LA Langue Françoise, m

Voilà 5 ce me femble , une analyfe exade & un ordre afTez clair pour les frafes; qui, de quelque côté qu'on les confidere , fe réduifent , la période à part, à douze clafles; fous lefquelles l'art de la Parole afTemble (qs matériaux & fait marcher le difcours. Elles font comme autant d'ordres d'architedure ; dont le mélange bien entendu eft la principale fource des grâces de l'élocu- tion. Ce mélange , conduit par un goût fur capable de donner à l'expreffion la fîneiTe de la penfée , d'y répandre la lu- mière de l'intelligence , & d'en rendre la fuite au/Ti conféquente que celle du raifonnement, formera une pièce d'ua deffin net & régulier quoique émaillée de différentes frafes ;, tantôt Subordina- tives , tantôt Relatives, dautrefois Déta- chées , dans une occafion Imcomplettes , dans une autre Complettes , quelquefois Intégrales, ici Simplifiées, Compli- quées, ailleurs Implicites, le plus fou- vent Expofitives , Impératives quand il Tome y, P

112 Les virais Principes

le faut , enfin Interrogatives à propos. Ce font des noms ; mais qui repréfen- tent des chofes réellement en ufage ; que je viens d'expliquer & rendre fenfi- bles à quiconque peut pouffer l'aplica- tion d'efprit un peu au delà de celle qu'exige la ledure des Romans.

Analy fons maintenant le Régime avec la même exaâ:itude que nous venons d'analyfer la Frafe. Nous avons dit que c'étoit un concours de mots pour expri- mer un fens : ainii le Régime fupofe un but & des moyens pour y parvenir : deux afpeds dont chacun a deux faces.

La Régime confidéré par raport au but tend ou à la ilrudure de la Frafc par le moyen des parties conflruûives , que nous avons trouvées au nombre de fept, & à qui nous avons donné des noms convenables tirés de leurs fon- dions : ou il tend à la fimple expreiîîon de ces parties par les mots qui doivent les énoncer. Dans le premier cas je le nomme Régime constructif, dans

DE LA Langve Françoise, i%-^ le fécond Régime énoncïatîf, Si rendit, par exemple,

une belle femme triomphe aifémmt dt r homme ^^ plusjage ; alors les trois premJers mots & les fk derniers font en régime conflr uaïf avec les deux autres ; parcequ'ils concourent avec eux à former la frafe comme étant deux defes membres. Les trois premiers mots y figurent en qualité de Subjeftif & l^s. fix derniers en qualité de Termi- natif : mais \qs mots de chacun de qq^ membres font entre eux en régime énon- ciatif ; parcequ'ils concourent fimple- ment à énoncer enfemble cette partie, qui, étant énoncée, concourt enfuite à la flrudure de la frafe. Tout cela fait voir que les mots forment \qs frafes ; mais qu'ils ne \^s forment qu'autant qu'ils en énoncent quelque membre ou qu'ils contribuent à l'énoncer.

Le Régime confidéré par raport aux moyens qu'il met en euvre, pour par- venir à la ftruaure de la frafe ou à l'é-

Fij

114 Les vrais Principes

nonciation des membres, a également deux objets. Car les mots étant fes feuls & néceflaires moyens , il les doit em- ployer d'une façon convenable à fon projet. Cet emploi dépend de l'arrange- ment rerpeâ:if dans lequel on peut les placer & de la diverfité des formes qu'on peut leur donner ; puifque c'eil tout ce dont ils font fufceptibles. Ainfi ils doi- vent dans le difcours répondre , par le rang & par l'habillement^ aux fondions qui leur font diftribuées. Je nomme Régime dispositif celui qui ordonne des places ou de l'arrangement , & Ré- gime DE CONCORDANCE celui qui décide de la parure ou de la forme. Un exemple va me faire entendre parfaite- ment. Le mot adjeftif qui exprime la qualification de beauté peut fe préfenter fous cinq différentes formes , favoir ,

bel , beau , bdU , beaux , belles : le régime de concordance me fait em- ployer la première forme avec les fub- ilantifs mafculins fmguliers qui corn*

DE LA LanCue Françoise, ii^

mencent par une voyele ou par^noii afpirëe , la féconde avec ceux qui com- mencent par une confonne ou par H afpirée , la troifieme avec les féminins iinguliers , la quatrième avec tous les mafculins pluriels, & la cinquième avec les féminins pluriels : je dis donc, un bel animal y un bel habit , unbeau château , un beau hameau J une belle perfonne ^ une belle harmonie , les beaux jours ^ les beaux habits , les belles actions , les belles hifiolres. Si dans toutes ces occafions le régime de concordance a diftribué les formes à Tadjedif; le régime difpofitif lui a de fon côté marqué la place qu'il occupe ; c'efl par fes loix qu'il y efl immédiate- ment avant le fubftantif. Place qu'il ne lui efl pas permis de changer , non plus que lorfque ce même régime le met a- près 5 ainfi que dans les exemples fui- vans,

perfonne colérique , animal furieux , château ruinée

Fiij

'ti6 Les rRAis Principes

Toutes ces chofes bien démêlées & bien entendues , il eft aifé de voir que l'art de la Conilruftion coniifle àfavoir quel arrangement & quelle forme il faut donner tant aux membres qui forment la iîrudure de la frafe qu'aux m.ots qui fervent à énoncer ces membres. Comme îes Mots fe partagent par leur inftitution en dix efpeces félon les diiférences mo- diiîcatives de leur emploi , ainfi que je l'ai fait voir dans le Difcourb précédent, & qu'il arrive que plufieurs mots de dif- férente efpece concourent quelquefois à exprimer un feul des membres dont réfulte la frafe ; il s'enfuit que c'eil des prérogatives de l'efpece que dépend le régime énonciatif , foit pour la façon de placer les mots, foit pour celle de les habiller. Je ne fais fi ma penfée s'en- tend ; l'exemple & l'analyfe vont la dé- veloper. Grand ôcfagc font de l'efpece des Adje£^ifs fervant à qualifier , homme eft de celle des Subilantifs fervant à dé- nommer ; je veus joindre çeluici avec

DE LA LAyCVE FRANÇOISE. I27

chacun des deux autres pour en faire des Subjeftifs de frafe ; quelle forme donnerai-je à i'adjeâ:if ? c'eft à dire fous quel genre & quel nombre doit-il pa- roitre ? & le placerai-je avant ou après le fubftantif ? Quelle eu la règle qui fait employer le fmgulier mafculin de ces adjectifs & mettre l'un avant fonfub- ftantif l'autre après dans cette frafe? le grand homme ne craint point la mort ^

& V homme f âge la prévient. On peut pareillement exprimer le Cir- conflanciel par un fubflantif accompa- gné d'adje£lif & de particule tous régis par une prépofition ; comme quand je dis,

avec de C argent & de fortes injlances on

gagne un cœur farouche ; quelle forme & quel ordre exigent ces efpeces entre elles ? Voilà l'état de la queftion ; fur laquelle il y a des règles £xes & univerfelles pour certaines ef- peces 5 mais de fort variées pour d'au- tres. Elles feront détaillées avec foin

F iii)

iiS Les vrais Principes

dans les Difcours deflinés à chaque es- pèce en particulier : enforte que ce qui regarde le régime énonciatif paroitra à mefure que je traiterai le détail de cha- cune des dix parties d'oraifon fiir lef- quelles roule Fart de la Parole. Pour le préfent je ne parlerai que du régime conflruftif , regardant uniquement les jrembres de la frafe ; parceque ce Dif- cours n'efl fait que pour ce qui concerne les loix générales de la Conflru£ïion, & pour expliquer ce que les Difcours par- ticuliers fupoferont être fii.

C'eil ici oîi fe manifefte amplement cette influence de génie , dont nous avons réduit les variétés à trois clafTes, & dont la connoiiTance eil la vraie pierre-de-touche de la bonne ou de la jnauvaife méthode. Elle conftitue la na- ture des Langues , en caradlérife la diffé- rence 5 &: prouve que leur génération ne fe fait pas , nonplus que celle des ani- maux, d'une efpece à l'autre. Vérité fenfible à qui ne borne pas le Savoir à

DE LA Langue Françoise, i 19

ce que la feule mémoire fournit. Ofons donc parler le vrai langage de la Gram- maire françoife : & procurons ici à nô- tre Langue le même triomphe qu'elle a fi glorieufement remporté dans la Phy- fique. Qu'elle fâche parler d'elle même aufTi pertinemment qu'elle parle de tou- tes les autres matières ; par oii elle s'eft rendue fi brillante & fi familière à tou- tes les nations de l'Europe. Ce zèle , de quelque témérité (ju'on l'accufe , fera peutêtre afTez heureux pour produire de fages retours fur les principes du vrai : & qui me critiquera dabord pourra m'i- miter dans la fuite. Continuons nôtre plan avec le même courage qui nous Ta fait entreprendre : je dis courage; car en vérité je n'ai point été flupide fur les rifques que court un Auteur qui veut te- nir ferme contre les préjugés &-ne fe point laiiTer entrainer par la foule.

Dans les Langues Tranfpofitivcs l'ar- rangement des membres de la frafe fem* ble prefqu'arbiîraire : il fuit la force de

F Y.

230 Les vrais Prikcipes

l'imagination. On y fait ordinairement précéder ce dont on eft le plus frapé , & dont parconféquent on veut dabord por- ter l'image dans l'efprit de l'auditeur. Déplus la terminaifon ou ce qu'on nom- me Cas y produit des variations dans la forme félon la diverfité des fondions ; les mêmes mots devant fe terminer pour le fervice de fubjeâ:if autrement que pour celui d'objeâif & de terminatif. Si l'on veut dire , par exemple , que Didon aimoit fortement Enée ; on s'exprime ainfi,

ardmur Dïdo JEncam amabat : mais pour faire un changement de fens & dire qu'^Enée aimoit foiblement Di- don; on fait dans le mot un change- ment de terminaifon & l'on s'exprime de cette façon ,

Didonem mediocriter amabat ^neas. De forte que les deux mots Didonem JEmam , en quelque place qu'ils fe trou- vent 5 annoncent un Objedif par la feule force de leur terminaifon^ comme Dido

VE LA Langue Françoise, 15 r

JEncas annoncent un Subjeûif. Outre cet effet de la terminaifon , on voit en- core par ces exemples le goût de l'arran- gement. La première frafe préfente da- bord la circonftance ou la manière vive d'aimer comme le point le plus intéref- fant , enfuite le Subjeftif en qui fe trouve cette manière vive , après cela l'Objec- tif, & enfin l'Attributif. Dans la féconde frafe l'objet aime , femblant demander la principale attention comme dupe d'un amour foible , on le place à la tête : après lui paroit le circonflanciel avant l'Attributif; parceque c'eft plutôt le peu d^amour que l'amour même qu'on veut faire entendre : le Subjeâif , comme ac- teur peu vif & moins intéreflant , fait la clôture. Je penfe bien que dans cette Langue il étoit fouvent alTez indifférent de commencer la frafe par l'un on par l'autre de fes membres : mais je doute qu'il le fût autant que nous l'imaginons aujourdui que nous ne faurions pénétrer dans toutes les fîneffes de i'ufage vivant

Fvi

/ï32 Les frais Principes

Il y a voit lans doute un choix d'ordre & de place en baucoup d'occafions , fondé fur le bon goût & la pratique ha- bituelle des citoyens de Rome 6c des perfonnes diftinguées. La preuve en efl dans le reproche fait à Tite-Live fur fon ilile , qu'on a dit tenir du terroir de fa naifTance : les Romains y virent une Patavinité que nous ne pouvons guère apercevoir ; parceque la connoiflance de ces diminuions délicates dépendant du bon ufage , elle fe perd dès que les Langues cefTent d'être vivantes. Aurefle il efl inutile pour mon deffein d'en dire davantage ; ne devant toucher que lé- gèrement le génie du Latin , pour faire mieux connoitre celui du François , qui fait le fujet de mes Difcours.

Dans les Langues analogues , telle qu'eft la nôtre , la terminaiibn ne fert point à diftinguer les membres de frafe : elle refle la même pour un Objedif comme pour un Subjedif ou un Termi- îiatif. Ainfi le régime conilruûif n'a guère

VE LA Langue Françoise. 13}

recours à celui de concordance ; n'y ayant point de différentes formes à don- ner , finon dans l'Attributif 61 unique- ment au verbe qui fert à cette ïonÙAon» L'Ufage ayant dilîribué à cette efpece de mot diverfes formations pour diflin- guer les divers acceflbires de l'événe- ment , tels que nombre perfonnc & temps , & les deux premiers de ces acceflbires dépendant du fujet à qui fe fait l'attri- bution , il faut que l'Attributif paroiiTe fous la forme qui répond au nombre & à la perfonne du Subjeftif. Ce régime de concordance ne regardant que le Ver- be, j'en renvoie la difcuiîion au Difcours dont il fera le fujet.

Quant à l'arrangement qire doivent garder entre eux les membres de la fra- fe 5 en quoi confiile le régim.e difpoiitif , il eft d'autant plus de conféquence qu'il fuplée à ce que la terminaifon ne fait pas. Le régime conilrudif en tire tous les moyens de parvenir à fon but : voilà pourquoi rien ou peu de chofe d'arbi-

1^4 ^Es VRAîs Principes

traire à l'égard de Tordre grammaticaî. Il ell prefque toujours décidé ; quoiqu'il ne foit pas toujours le même : il varie ; mais cette variation eft de règle , & dé- pend principalement de trois fortes de formes dont on a vu que la frafe étoit fufceptiblepar fa ilrufture. De façon que félon qu'elle eil ou Expofitive ou Impé- rative ou Interrogative , l'arrangement de (qs parties en reçoit différentes in- fluences. Ce qui en rendra la difcuflîon un peu plus longue & plus pénible que nous ne voudrions le le£teur & moi : mais la matière doit commander dès qu'on entreprend de la traiter ; l'auteur n'efl le maitre que de la manière. J'efpere m'en aquiter heureufement en réduifant à des règles claires & précifes tout ce que le bon ufage pratique à cet égard.

Première Règle.

Dans la forme expofitive îe Subje- ôif marche ordinairement avant l'At- tributif : celuici y précède à fon tour

DE LA Langue Françoise, i^ç

rObjeftif & le Terminati£>lorfqu'ils font énoncés par des exprefTions formelles & non fimplement déiignés par des pro* noms perfonnels ou relatifs. Ainiiron dit,

U médecin a retranché la nourriture au malade. On ne fauroit changer cet ordre fans renverfer entièrement le fens ; aulieu qu'on le peut en Latin , & dire la même chofe de cette façon ,

infirma cibum adcmit medicus» La raifon de cette différence eil fenfible s c'eft qu'en Latin la termina ifon marque la fonction que certains mots remplirent dans la conftruftion de la frafe , ainfi que je viens de l'expliquer , & qu'en Fran- çois la place qu'ils occupent en décide feule 9 leur terminaifon y étant toujours la même»

Cette règle s'obferve également dans la forme impérative, qui n'admet de Subje^lif qu'en troifieme perfonne. On diroit donc ,

que tout foit fournis à la loi divine^

1^6 Les vrais Principes Il n'en eu pas de même dans la forme interrogative. Cet arrangement n'y a lieu que lorfque le Subjeftif eft énoncé par le pronom qui ou par une dénomi- nation accompagnée de l'a djeftif prono- minal quel y comme dans les deux frafes fuivantes ,

qui trouvera h vraifyfteme de la nature > quelle vérité efl connue ? & quelle raifort triomphe du préjugé ? Lorfque dans cette forme le Subjeaif eft énoncé par un autre pronom que qi^i , ou que l'adjeaif .^//^/ne s'y trouve point; alors il ne fe place qu'après le verbe qui fert à énoncer l'Attributif Si néanmoins ce verbe étoit à une formation compo- fée de l'auxiliaire & du participe ; le Subjeaif énoncé par un pronom perfon- nel ou par on ne fe mettroit pas après toute la formation, mais feulement après l'auxiliaire &c avant le participe. Tout cela fe manifefle par les exemples ;

à quoi fert le mérite fans protection ?

quel honneur lui ont fait tant dcfoU^$^ dépenfes ?^

DE LA Langve Françoise, 137

connoiJJe^'VOus affe^ les intérêts desprïit"

ces ? avei-vous pénétré dans Le fccret du ccL^

hïnet ? a-t'Onfuivi les maximes d'équité dans tous les jugemens ? Lorfqu'on joint dans l'interrogation un Subjedif furnuméraire au pronom per- fonnel ; celuici fe tranfpofe , & l'autre refte en tête :

Vejfence de l'homme conJîjle't-elU dans

la raifon ou dans les pajjions ? t amour-propre a-t-il jamais cédé à la pure vertu ?

II. Règle.

Le Subje£lif des petites frafes , faites en formules de citation & placées comme membres adjondifs pour apuyer ce qu'on dit , doit nécefTairement marcher après fon Attributif 5 ou dumoins fe placer entre l'auxiliaire & le participe quand il eft énoncé par un pronom perfonnel ou par l'indéfini on. En voici la preuve :

Î38 Les vrais Principes

enfin , difoit ce bon roi , je ne me croirai heureux qu^ autant que je ferai le bon- heur de mes peuples :

tous les hommes font faux ^ a dit Boi^ leauy & ne différent entre eux que du plus ou du moins :

meffieurs lescourtifans y leur avons nous répondu , vous ne faites attention quaux plaijirs & non à la gloire du prince,

III. Règle.

îl y a dans la forme expofitîve ufiê autre occafion oii le Subjedif peut fe placer après l'Attributif, ôc quelquefois même avec plus de grâce que devant, C'eil lorfque le fens exclud tout objeâ:if5 ou que dumoins il n'eft énoncé que par im de {qs pronoms fe , que^ le y ou paf l'adjedif ^^/, comme dans ces exemples, d^ abord paroit unfalon immenfe ; après lequel font en enfilade une f aile de com^ pagnie , une belle chambre , des garde- robes y & des cabinets : à coté de tout

I

DE LA Langue Françoise, i jj

cela règne une galerie très ornée : a nôtre arrivée fe préfent a un écuyerpour nous cenduire ; & de diflance en dU fiance fe montrèrent divers domefiiqucs jufqiHà la dernière pièce de Vapparte^- ment ^ je fit enfin voir U maitre de r habitation: ce que penfie le pkilofiophe n^cfi pas tou-»

jours ce que dicte la raifon : Cefi ainfi que le voulut la providence & que le fiouhaitoient tous les honnêtes gens : tel parut à fies yeux V éclat défia beauté ^ & telfiutfiurfion cœur le pouvoir de fie^ charmes : telle eflfiafiaçon d^agir, L'adjedif tfw/r^ compofant avec le fub^ flantif chofie un Objeûif de iimple diffé* rence produit aufîi à cette fondlion Thon- neur de marcher avant l'Attributif & de renvoyer le Subjed^if après :

autre chofie efi promettre y autre chofie efit

tenir : autre chofie étoitche^ les Romains la quit*

Ï40 Les VRAIS Principes

lité de patricien , & autre cJiofe étolt

la noblejje ; Autre chofe veut le mari , autre chofeplait

à la femme. Ce changement d'ordre dans les occa- fions mentionnées n'a pas trouvé d'ob- fîacle ; parceqii'alors il ne peut y avoir de confiifion entre le Subjeûif & l'Ob- jeftif, ce dernier ou n'y devant pas être ou y étant énoncé par des mots impro- pres à un Subjeftif , comme il fera ex-î pliqué au Difcours des Pronoms.

IV. Règle.

L'Attributif ne marche jamais à tête de la frafe dans la forme expofitive : mais il s'y trouve afTez ordinairement dans les formes impérative & interro- gative :

règles ta propre conduite avant que de

gloferfur celle d" autrui : gagne-t-on le ciel en tourmentant les hommes ?

DE LA LaNGVE FrAKÇOISE. 141

V. R E G L E.

Les pronoms relatifs que qui dont quoi lequel fervant à énoncer , foit en entier foit en partie , l'Obje^lif ou le Termina- tif obligent l'un comme l'autre de ces membres à fe mettre à la tête de fa pro- pre frafe , qui eflfouvent fubordinative : & alors le Subjeâiif ne paroit que dans le rang fuivant : on dit ,

le livre que vous Hfe^ avec tant dcplaijir ennuie haucoup d^ autres gens :

qui voit' on dejincere à la Cour ?

la perfonne à qui elle donne fa confiance ne mérite pas cette dijlinciion :

le plan dont on a fait choix ne peut i exécuter :

à quoi nous déterminerons nous ?

lequel préfère^ vous ? Il eft aifé de remarquer ici l'effet de la règle , & de voir qu'elle a lieu dans les deux formes de frafe ces pronoms peuvent avoir place ; car Tlmpérative ne les admet pas , amoins que ce ne foi|

t42- ^Es VRAIS Principes

en commun avec une autre frafe , com- me quand on dit ,

attache^ vous à qui vous aime :

prcnei^ lequel vous voUdre:!^,

VI. Règle.

Lorfque l'Obje^lif & le Termînatif font énoncés par des pronoms perfon- nels non accompagnés de prépofition ou par des relatifs autres que qui que ; ils fe placent entre le Subjeûif & l'At» tributif dans la forme expofitive , & tou- jours avant l'Attributif dans l'interro- gative. On diroit donc ,

lespajjîons nous tourmentent plus qu'el- les ne nous fatisfont^

la fortune lui a tourné la tête :

Vincertitude me déplaît :

Dieu vous a-t'il mis au monde pour en être le cenfeur ?

ne leur promette:^vous pas plus que vous ne pouve^^ donner ? Quand ces pronoms concourent, c'eil à dire que l'un exprime l'Objeâifôc l'autre

DE LA Langue Françoise, 145

\€ terminatif , voici Tordre de la mar- che. Les pronoms me nous vousfe afFe- ôent toujours de paroitre les premiers & les plus éloignés de l'Attributif, en- fuite k la Ics^ après ceuxci lui & leur, enfin le pronom en fe préfente le der- nier , fe tenant dans le plus proche voi- fînage de l'Attributif; comme on le voit dans l'exemple :

S'ils me le refufent ; peutétre qiiilsfe U

reprocheront dans la fuite : je ne U

leur demanderai plus , & je m^en

pajjerai fans leur en faire plus mau-

vaife mine.

On fuit cette même règle dans la forme

impérative pour la troiiieme perfonne ,

& même pour la féconde & la première

fi le tour y eft négatif:

qiCon me le pardonne Ji je fuis un peu

prolixe : ne leur en épargne:;^ pas la peine : ne nous en inquiétons point. Si le tour eft afîirmatif dans le comman* dément fait en féconde & première per*

144 L^s VRAIS Principes

fbnne ; tout change. Ces membres énon- cés par ces pronoms vont alors fe placer immédiatement après rAttributif ; & de façon que le la les s'emparent de la pre- mière place faifant reculer les autres , & que le pronom en qui jouifîbit du voi- iinage de T Attributif s'en trouve le plus éloigné. Allons aux exemples : renvoyé:;^ le moi demain : préfente:;^ les leur de bonne grâce : punijjei^ les en rigoureufemem : aprochons nous en avec refpeci,

VIL Règle.

L'Objeâiif énoncé par le colle£lif^c>/^^ (q place après l'Attributif quand celuici eu énoncé par un verbe fimple : on dit ,

il engloutit tout. Mais quand le verbe efl à une forma- tion compofée de l'auxiliaire & du par- ticipe ; cet obje£^if fe met entre les ^eux : ainfi l'on dit ,

U a tout englouti^

ym.

DE LA Langue Françoise, 14c

VIII. Règle.

Le Circonftanciel énoncé par un ad- verbe aime le voifinage de l'Attributif, & fe place pour l'ordinaire immédiate- ment après lui dans la forme expofitive, ou quand le cas y échoit entre l'auxi- liaire & le participe : on dira ,

il fait affi dûment fa cour au prince ^ & voit rarement fes amis :

il a beaucoup aimé le jeu : il s y efl en* tierement ruiné. Cette règle n'eil: pas fi générale qu'elle ne foufre exception pour certaines con- jonâ:ions , qui venant à la fuite de l'At- tributif ne peuvent abfolument s^^n éloi- gner 5 & même pour d'autres Circon- ilanciels de temps & d'habitude , qui , quoique énoncés par pluiieurs mots , précèdent néanmoins ceux de manière énoncés par un fimple adverbe :

vous vous rende?^ donc promtement ou les plaifirs vous attendent :

il mange & boit pour T ordinaire copieu^^

Tome /, G

Ï4<5 Les vkaîs Principes

femmt^ & dore une heure aprïs très profondément. Dans la forme interrogatîve ce Circon- Hanciel énoncé par un adverbe ne fe met qu'après le Subjeôif tranfpofé :

aimera- t-eUe conjlamment ?

nos amis arriveront-ils aujourd'hui ?

avei'vous haucoup gagné ? Dans la forme impérative il efl renvoyé après tous les pronoms perfonnels ou relatifs qui , n'étant pas accompagnés de prépofition , fuivent l'Attributif pour faire fondion d'Objedif ou de Termi- natif :

moque-^ vous en hardiment :

offrons la lui galamment. Si ces deux membres Objeâ:if & Termî- natif fe trouvoient énoncés dans le com- mandement , l'un 5 ainfi que je viens de te dire , par le pronom perfonnel ou re- latif fans prépofitioa, l'autre avec ac- compagnement de prépofition ou par quelque autre mot; alors l'adverbe fai- fant fondion de circonilanciel de fraf«

DE LA Langue Françoise, 147

pourroit marcher avant le membre é- noncé de la dernière façon en le plaçant entre les deux , félon que la netteté du fens ou la beauté de l'harmonie Texi- geroit :

faifons lui nfpèclmufemcnt nos umoîi"

trances : adrejjei^ vous immédiatement au maître c: facrljie'^ leur plutôt cellecl : préfente toi humblement à lui : détourne les adroitement de nous : détache la de lui finement.

I X. R E G L E.

La netteté du fens décide de la place que doivent occuper le Circonflanciel & l'Adjondif énoncés par pluiieurs mots. Voilà pourquoi dans cette frafe,

avec tout fin efprlt II commet de grandes fautes y on ne fçauroit placer le Circonflanciel ailleurs qu'à la tête ; car au milieu ou à la fin de la frafe il rendroit le fens louche , en ce que la prépofition avec

Gij

148 Les vrais Principes

fembleroit indiquer rinftrument ou le moyen aulieu qu'elle ne doit indiquer que l'accompagnement. Lorfque la net- teté du fens n'en foufre pas ; il eft arbi- traire de placer ce Circonftanciel au xrommencement au milieu ou à la fin de la fraie. Si quelque chofe en décidoit alors ; ce feroit l'agrément du flile & non la règle de Grammaire , ainii que dans cet exemple ,

en pcii de temps il a fait baucoup d& chemin :

il a fait en peu de temps baucoup de chemin :

il a fait baucoup de chemin en peu de temps. Quelque préférence que je donne au fécond de ces arrangemens, je ne me croirai jamais fondé à blâmer \qs autres comme mauvais. Il faut ajouter que ces fortes de Circonflanciels énoncés par plulieurs mots ne doivent point , dans le bon ftile , fe placer entre l'auxiliaire & le participe : je parle de la profe \ car

DE LA Langue Françoise. 149

il faut bien donner à la poëfie cette li- berté ; pourvu qu'elle n'en abufe pas.

C'eil pareillement par la netteté du fens qu'on décide du rang que doivent garder entre eux l'Objeftif & le Termi- natif formellement énoncés par d'autres exprefîions que par des pronoms per- fonnels ou relatifs , dont la fixieme rè- gle conflate la Syntaxe. On diroit très bien,

/envoie mes lettres à la pofie : mais on diroit mal ,

/envoie les lettres que vous mave^ prié d* écrire à la pojle ; parceque cela fait un fens équivoque. Il faut alors faire pafTer le Terminatif avant l'Objeftif & dire,

/envoie à la pofie les lettres que vous n^avei^ prié (T écrire,

X. Règle.

La place du Conjondif énoncé par de fimples conjonctions dépend du goût de ces Conjonftions ; les unes voulant

Giij

%p Les vrais Principes

être à la tête de la frafe , comme mais ^ car ^ ainji ; les autres n'aimant à paroi- îre qu'à l'abri d'autres mots , comme donc ^ pourtant ; &c quelquesunes ayant là-delTus affez d'indifférence , telles que cependant y néanmoins. De forte qu'il n'eft pas néceflaire d'en traiter ici ; puifque je tâcherai de ne rien laiiTer à defirer dans le Difcours defliné à cette efpece de mots. Il en eft de même de l'Ad- jondif énoncé par de fimples particules : ainli pour ne pas répéter je renvoie à leur propre Difcours, Quant au Con- jonftif énoncé par des exprefîions corn* pofées de plufieurs mots , il occupe le premier rang dans la frafe qu'il lie :

on parle haucoup de fan bon caractère * c'ejlà dire qiiil ne faut point s"" arrêter à la figure :

il a voulu vivre comme les opulens ; de forte que d^aifè il efl devenu gueux.

Il me femble que tout ce qu'on peut dire fur le régime conflruûif des mem- bres de la frafe fe trouve renfermé dans

DE LA LaNGVEFraNÇOISE, I^î

ces dix règles ; qui , quelque nouvelles qu'elles puifTent paroitre , ne font pour- tant que rUfage attentivement confi- déré & méthodiquement rendu , ainii que tout ce que j'ai dit & dirai dans la fuite de mes Difcours.

Gf»»» , 112}

^iji Les vrais Prin cipes

IV. DISCOURS:

DE l'Article,

Première partie d'Oraifon»

E toutes les efpeces de mots qui entrent dans le plan de la Parole &C forment le Langage de l'homme , il n y a que TArticle qui ne foit pas commun à toutes les Langues. Parconféquent il efl ime de ces différences effencielles qui en conllituent le cara^lere , &c un de ces monumens qui fervent à en découvrir la vraie origine. Titre plus authentique que la reflemblance étymologique ; cel- leci , ne portant les marques que d'un bien aquis , peut n'être que l'effet d'un mélange furvenu entre elles ; au lieu que celuila , étant un fonds propre , doit paffer d'une Langue dans une autre comme héritage & bien de patrimoine* Cette première efpece de mots ou ,

DE LA Langue Françoise, 153

pour parler en termes de l'art, cette première partie d'oraifon ne fatiguera pas la mémoire ; mais elle occupera un peu la réflexion ; non pas tant acaufe de fes propres difficultés qu'acaufe des embarras dont l'ont accablée ceux qui en ont écrit , fans en excepter môme Vaugelas ; pour qui néanmoins j'ai une fmguliere vénération , comme pour l'E- crivain le plus poli & le plus habile Pu- rifle de fon temps , un véritable oracle tant qu'il parle ufage , mais peu profond dans ce qui regarde le génie & les vraies règles de la Méthode Françoife. Je ne fais pas cette obfervation pour jetter des ombres fur fa réputation : c'efl unique- ment pour empêcher que fon éclat, à force d'éblouir, n'en répande fur l'efprit de ceux qui fe livrent trop à l'Autorité. Je me difpenferai donc ici de chercher au mépris de ma propre raifon , un mo- dèle de penfer ; dautant plus que la na- ture de l'Article n'a pas été jufqu'à pré- fent fort heureufement expliquée.

G y

1^4 ^^^ VRAIS Principes

La Grammaire qui annonce dans fou titre im nouveau plan , après avoir pro- mis merveilles dans fa préface , dit fim* plement^ fur ce fujet, que quelques par- ticules font apelées Articles parcequ'ils fer- vent à articuler & à difiinguer divers cm," plo'is que rufagefait des Noms» Elle laiffe enfuite à fon Lefteur le foin &; la gloire de chercher lui même ce qu'elle entend par articuler^ & quels font ces divers emplois dont elle attribue la diftindion à cette efpece de mots. De forte que la définition n'eil pas plus claire que le nom de la chofe, ne traçant aucun trait {^n-- fible dont l'efprit puiiTe avoir une ima-» ge nette.

Le Didionnaîre François de Richelet le définit , une petite particule quon met devant les Suhfantifs , & qui fer t à en fai- re eonnoitre h nombre , le genre , & le cas. Cette définition efl mieux faite que la précédente ; car aumoins elle dit quel- que chofe ; mais par malheur elle pèche dans le vrai. Les autres Didionnaires

DE LA Langue Françoise, lyj

n'ont pas mieux rencontré , n'ayant fait que copier celuici mot à mot ou en ter- mes équivalens. Aucun d'eux n'a voulu voir que l'Article & la Particule font deux chofes totalement diftinguées^conf- tituant deux différentes parties du dif- cours ; & que la notion de l'une n'efl pas celle de l'autre ; on s'efl contenté de définir un mot par un autre aufîi peu connu que le premier.

L'Article n'efl pas nonplus un accom- pagnement indifpenfable &: néceffaire qui précède toujours les Noms : ainii loa effence ne confifle pas à occuper cette place. Dailleurs je ne crois pas que ce foit par la place qu'occupent les mots dans la conftru£^ion du difcours qu'on doive les définir , en expliquer la natu- re & l'efpece : on pourroit par cette rai- fon dire que les Prépofitions font des Articles ; puifqu'on les met également devant les Noms. Je crois encore moins que TefTence de l'Article confiée a faire connoitre le nombre ; puifque c'efi

Gvj

156 Les vraïs P rincipes

l'office de la terminaifon ou de la lettre iînale , à fon égard même comme à ce- lui des Noms. On n'en a certainement pas befoin pour favoir que métaux, mejftmrs yfLaiJirs (ont des pluriels , & que dejir , dame , animal font fmguliers : bien loin de , dans le fyfteme de ces Gram- mairiens qui admettent un article indé- fini , c'efl le nom qui fait connoitre le nombre de ce prétendu article toutafait équivoque par lui même ; ainfi qu'il pa- roit dans l'exemple fuivant ,

les meurs de nôtre jîecle ne font qu^un ajjemblage de vices.

Le mot de , qu'ils nous donnent pour im fécond article diilingué de celui qu'ils nomment défini , ne porte avec lui au- cun caradere de nombre, ni de fingu- lier ni de pluriel ; prenant fimplement l'un ou l'autre par l'influence rétroadive des noms qui le fuivent : de façon que c'cfl le mot Jiecle qui le détermine au fin- gulier , & celui de vices qui le fait enfuite regarder comme un pluriel ^ fans eux

JD£ LA Langue Françoise, i 5:7

rien de décidé ni de connu à cet égard. La connoiflance du genre ne dépend pas nonplus abfolument de l'Article ; car les Noms-propres n'en prenant ja- mais & les autres le rejettant en certai- Inès occafions , leur genre y efl néan- moins très connu. Pour ce qui eft du cas, les Langues analogues , au nombre defquelles eil la nôtre , n'en connoiflent point , ni pour l'Article ni pour les Noms : c'eil une pu- re chimère , provenant de la fauffe apli- cation qu'on a faite des ufages Latins à la Méthode Françoife ; comme il paroi- tra dans la fuite de ce Difcours.

J'abandonne donc l'art de copier des mots , dits &: répétés mille fois avant - moi ; puifqu'ils n'expliquent pas les cho- fes effencielles que j'ai deifein de faire entendre à mes Lefteurs. Une étude at- tentive faite d'après l'Ufage m'inilruit bien mieux. Elle m'aprend que F Arti- cle eft un mot établi pour annoncer & particularifer fimplement la chofe fans

158 Les vrais Prîn cipe s la nommer ; c'efl à dire qu'il eft une ex* preiïion indéfinie, quoique pofitive,dont la jufte valeur n'eft que de faire naître l'idée d'une efpece fubfiflente qu'on dif- tingue de la totalité des Etres , pour être enfuite nommée. Cette définition en ex- pofe clairement la nature & le fervice propre, auquel on le voit conilamment attaché dans quelque circonftance que ce Ibit. Elle m'en donne une idée nette & déterminée ; me le fait reconnoitre partout : & m'empêche de le confondre avec tout autre mot d'efpece différente. Je fens parfaitement que lorfque je veus parler d'un objet , qui fe préfente à mes yeux ou à mon imagination , le génie de ma Langue ne m'en fournit pas tou- jours la dénomination précife dans le premier inllant de l'exécution de la pa- role : que le plus fou vent il m'offre da- bord un autre mot , comme un corn- mencement de fujet propofé & de diftin- âion des autres objets ; enforte que ce mot ell un vrai préparatoire à la Dénor

DE LA Langue Françoise, ly^

mination , par lequel elle eft annoncée avant que de fe prëlenter elle même : & voilà l'Article tel que je l'ai défini. Si cet avantcoureur diminue la vivacité du Langage ; il y met en récompenfe une certaine politeffe & une délicateffe qui naiffent de cette idée préparatoire & in- définie d'un objet qu'on va nommer z car par ce moyen l'efprit étant rendu attentif avant que d^être inilruit , il a le plaiiir d'aller audevant de la déno- mination, de la defirer, & de l'attendre avant que de la pofféder. Plaifir qui s ici comme ailleurs un mérite flateur ^ propre à piquer le goût. Qu'on me paf- fe cette métaphore ; puisqu'elle a de la juflefle , & fait connoitre d\me manière fenfible une chofe très métaphyfique.

Nôtre Langue n^a qu'un Article , mais fufceptible de deux genres & de deux nombres , & déplus fujet à deux fortes d'état. Ce font tous fes accidens , que je vas expliquer en détaiL

On nomme Genre > en termes d$

iéo Les frais Principes

Grammaire , une idée accefîbire qui joint à l'idée principale du mot un ra- port au fexe ; dont la différence , étant Il naturelle & frapantles fens d'une ma- nière fi vive &c û paiîionnée , a été cau- fe que Thomme n'a jamais abandonné cet adminicule dans toutes les idées qu'il s'eft formées fur les Etres , & dans les mots qu'il a établis pour les repré- fenter. La diftinâ:ion du mâle & de la femelle a donc introduit deux genres pour les Mots 5 favoir, le Masculin & le FÉMININ. Ils font du premier gen- re lorfqu'ils expriment la chofe avec un raport au mâle , ou comme étant de ce premier fexe : & ils font du fécond gen- re lorfqu'ils expriment la chofe avec un raport à la femelle , ou comme étant de ce dernier fexe. Quelques nations ne voyant dans certaines chofes rien qui tint du fexe ont voulu en faire connoi- tre l'exclufion. Pour cet effet elles ont introduit dans leurs Langues un troifie- me genre , qu'on a nommé Neutre j^

DE LA Langue Françoise. i6i

parcequ'il eft une idée acceflbire qui joint à la principale une exclufion des deux autres genres ; de forte que c'eft toujours un raport au fexe , mais un ra- port exclufif. L'efclavon le Grec & le Latin ont ce troifieme genre : le Fran- çois dont il eil ici queftion ne connoit que les deux premiers. Ainfi l'Article y eil: feulement ou mafculin ou féminin : ce que la terminaifon diilingue & fait connoitre : on dit Le pour le mafculin & La pour le féminin.

Vn. Gram.mairien moderne a fuprimé , par pudeur ou par indifférence , toute idée & tout ràport de fexe dans l'expli- cation qu'il donne des Genres. 11 dit fim- plement qu'ils ne confiftent en François qu'à être fufceptibles , félon Tufage reçu, de l'une des deux particules U ou la. Mais ces deux articles , qu'il lui plait de tïomvcLQY particules ^ n'ont -ils pas eux- mêmes leur genre diilingue ? Qu'efl ce donc qui en fait chez eux la différence 6c en conftitue j'effence ? Déplus les

i6i Lbs vrais Principes

noms-propres & tous les fubflantifs in- dividuels, que l'ufage reçu empêche d'être fufceptibles d'aucun article, n'ont* ils pas un genre très connu ? Jean , Louis ^ François , Lucas , Marie , Margot y Silyit ne font -ils ni mafculins ni féminins ? Qu'une telle confufion de principes ré- pond peu à la jufteiTe géométrique dont l'Auteur a foin de flater fon Ledeur à la tête de l'ouvrage I

Le Nombre en Grammaire cft auffi une idée accefToire , qui joint à l'idée principale du mot un raport à l'unité ou à la pluralité ; en forte que le fujet ex- primé fe montre ou comme unique ou comme nombreux. On nomme l'une de ces façons de fe préfenter Singulier , & l'autre Pluriel. Un mot eft au fm- gulier lorfqu'il exprime la chofe comme unique : il eil: au pluriel lorfqu'il l'ex* prime comme nombreufe. Cette fécon- de idée accefToire de nombre eft aufîi inféparable de l'Article que celle du genre : on la diflingue par la terminai-

DE LA Langue Françoise. i6j

fon & par S finale : on dit Le pour le fingulier mafculin , La pour le fmgulier féminin , & Les pour le pluriel foit maf^ culin foit féminin. Nôtre ufage n'ayant point mis de diftindion dans ce nombre entre les deux genres , il s'enfuit que ce- lui de l'Article y efl: plutôt connu par le nom qu'il annonce que le genre du nom ne l'eil: par l'article. Preuve démonftra- tive que jamais celuici ne fut établi pour diftinguer le Genre , ou que l'établilTe- jnent en feroit bien mal fait , comme l'avouent ceux qui aiment mieux dire que rUfage efl un capricieux qui ne fait ce qu'il fait que d'avoir la moindre fut picion qu'ils pourroient bien eux mêmes fe tromper fur ce qu'ils difent , & qui loin de s'inflruire de fes loix veulent l'affujettir aux leurs. Ce font ces opoii- tions , imaginées & publiées entre les régies de la Grammaire ôc les loix de TLIfage , qui ont fait méprifer cellela comme une vetilleufe perpétuelle & un art plat ôc infipide , qui ne fait pas s'ac«

ï54 ^Es VRAIS Principes

commoder aux beautés réelles de l'au- tre , encore moins en rendre une raifon fondamentale ou en donner des règles fur es. Qui fera affez heureux pour en relever la gloire ? Je travaille dans ce deffein , fans pourtant me trop flater du fuccès : & je ne m'aplaudis jufqu'à pré- fent que d'avoir ofé l'entreprendre. Ne l'abandonnons pas malgré les difficultés que nous y prévoyons & les critiques dont nous fommes menacés.

Nous avons dit qu'outre le Genre & le Nombre l'Article étoit encore fujet à deux fortes d'états. L'un eft fon état naturel ^ compris dans ces . trois mots Le La Les ; dont le premier elt , ainii que je l'ai dit , fingulier mafculin , le fé- cond lingulier féminin , & le troifieme pluriel pour l'un & l'autre genre. Il n'y a point d'autre mot dans toute la Lan- gue qui foit purement Article. Ils font toujours les mêmes & ne foufrent point d'altération ; fmon que les deux pre- miers fupriment, pour la douceur de la

DE LA Langue Françoise, i6$

prononciation, leur voyele finale lorf- que le mot fuivant commence par une voyele ou par une H non afpirée. C'eil ce qu'on nomme élijîon^ qui , en bon François , n'efl qu'un retranchement de lettre. On marque ce retranchement dans l'écriture par un petit trait courbe, qu'on nomme apoflrophc , mis à la place de la voyele vers la partie fupérieure de la confonne qui précède cette voyele retranchée : on écrit ,

Voccéan , Vaim , ^ honneur , V humeur. Pour Les , il ne perd dans aucime oc- cafion rien de ce qui lui appartient : on dit & on écrit ,

Us animaux , Us occafions y Us hommes. Jamais ces articles ne varient leur terminaifon , dans quelque circonftance qu'ils fe trouvent & fous quelque régime qu'on les place : parconféquent ils ne font point fujets à ce qu'on nomme dé" clinaifon^ qui n'eft autre chofe qu'une variation dans la terminaifon du même mot pour en marquer les différens ré-

'i66 Les vrais Principes

gimes : on dit , par exemple ,

as deux envoient vers lu terre les in-* fiuences qui la rendent fertile ; & la. terre renvoie vers le ciel les vapeurs & les cxhalaifons dont Je forment les pluies & le tonnerre dans la moyenni région de Vair, Il eft aifé de voir, par cette frafe, que l'Article n admet aucune diverfité d'in- flexion. C'efl toujours Le La Les ; quoi- que les dénominations qu'il annonce tantôt y régiffent le verbe , & tantôt y foient elles mêmes régies ou par le ver- be ou par des prépofitions. Commen- çons donc dès à prél'ent à purger la mé- thode françoife de tout ce fatras de Cas^ comme de fuperfluités étrangères plus propres à nuire qu'à fervir à l'in- telligence de notre Langue. RougifTons d'avoir foumis fi long temps nôtre ef- prit & nôtre raifonnement au joug de la Latinité : & faifons main baffe fur ces t^ominatif. Génitif, Datif Accufatif Vo' mtif^ Ablatifs comme fur des Barbares;^

DE LA Langue Françoise, 167

intrus pour renverfer les loix fondamen- tales de nôtre Grammaire & pour être les inllrumens odieux de Ion efclavage. Qu'ils brillent dans le Latin : mais qu'il n'en foit plus fait mention dans le Fran- çois ; ils n'ont rien de réel , & n'y paroilTent en effet que comme des phan- tomes propres à épouvanter nos oreil- les. Ce que je vas dire achèvera d'en montrer le ridicule.

Le fécond état l'Article fe trouve eft lorfque la proximité de certains mots l'oblige à changer fon état fimple & na« turel en un état mixte & compofé , pour s'unir étroitement avec eux par un mé- lange , qu'on nomme en terme de Gram- maire contraclion ; de façon qu'ils ne font alors enfemble qu'un feul & nouveau mot, qui retient néanmoins la double valeur des deux dont il efl formé. J(? nomme ce nouvel état Syncope.

Des trois mots que l'Article com- prend , il n'y a que Le, & Les fiijets à jget état de Syncope : La qui efl pour le

168 Les vrais Principes

féminin fingulier en eil: exemt. Il n'y a aufli dans toute la Langue que deux pe- tits mots av^c qui cela leur arrive ; fa- voir , avec la prépofition à , & avec de foit qu'il rempliffe la fondion de prépo- fition ou fimplement celle de particule extradive. Voyons maintenant com- ment cela fe fait.

Toutes les fois que l'un ou l'autre de ces deux mots doit fe trouver immédia- tement avant l'article fmgulier Le , & que le mot qui fuit commence par une confonne ou par i7afpirée , la fyncope fe fait auffi tôt ; de le produit ^^ , & de à U fe forme au : mnû l'on dit ,

il ejî du devoir dufujet d'obéir au prin* ce & de la gloire du héros de donner plus à la conduite quau hafard ; aulieu de dire comme les SuiiTes nou- vellement arrivés en France ,

il efi de le devoir de le fujct d'obéir à le prince , Scc, Si le mot qui fuit l'article commence par une voyele ou par H non afpirée ;

DE LA Langue Françoise, 169

alors fyncope n'a pas lieu, & cet ar- ticle refte, ainfi que la prépofition , dans ion état naturel ; on dit ,

il ejl de L'honnête, homme de préférer, V honneur à V intérêt, Aurefle il eft aifë de s'apercevoir que cette fyncope fe fait par un goût par- ticulier de la Langue, qui aime à chan- ger Unu; comme il paroit dans i'ufage de dire ,

beau garçon y beau château^ quoiqu'on dife

bel homme y bel apartement _, & dans ces pluriels

chevaux y animaux ^ baux y au lieu de

chevals , animais , bails. Quant à l'article pluriel , qu'il foit mafculin ou féminin , que le mot qui le fuit commence par une voyele ou par une confonne ; il n'en fait pas moins fyncope avec les deux petits mots men- tionnés s'ils fe trouvent avant lui. Ainiî les eft conftamment formé par de les ^ Tome I, jj

ïjo Les vrais Principes

&L €ux par à les : on dit ,

il eji naturel aux hommes de s* attacher aux femmes , & la différence des hu- meurs n\fl pas toujours un obJlacU à Vtinion des cœurs. Il faut obferver que cet état de Syn- cope ne peut avoir lieu que lorfque les deux mots font immédiatement Fun au- près de l'autre : dès qu'on les éloigne ou qu'on les fépare par quelqu'autre mot ; ils reprennent leur état naturel : on dit , maitre de tout le monde , plaire à tout le peuple ; quoiqu'on dife par fyncope,

maitre du monde , plaire au peuple. Ce retour au premier état d'inflitution cil: une preuve bien claire & bien con- vaincante que du y des y au y & aux ne furent jamais rien de ce qu'on nomme génitif & datif \ mais que ce font de pures contrariions. Ne le voit-on pas fenfiblement dans une infinité d'expref- fions fimples & ordinaires ? N'eft-ce pas ,^ans les deux fuivantes un même tour

DE LA Langue Françoise, 171

de langage & une même façon de par- ler? .

rcndci ^0^ hommages au faim homme ^ nnd&i vos hommages à l'homme faint. Le fens n'exige-t-il pas , dans la pre- mière comme dans la féconde, la pré- pofirion à pour former le terminatif de la frafe & l'article le pour annoncer la dénomination ? il faut donc néceffai- rement qu'ils ^'y trouvent; n'importe de quelle manière , ou féparés en deux mots ou combinés en un feul , félon qu'on met auprès d'eux ou l'adjeaif commençant par une confonne ou le fubilantif commençant par ^non afpi- rée. Enfin cela eft fi vrai qu'on aperçoit encore aujourd'hui la fource & les pre- miei-es traces de ces fyncopes dans le \ patois de quelques provinces. J'ai vu ^parler le payi^n de la lifiere du Bour- ' bonnois & de l'Auvergne fans cette forte de fyncope: je me divertiffois fort à lui entendre dire ,

voilà bien de les feuilles; c'ejlbien h cas de Us ckvns^ n ]:

172 Les vrais Principes Une de nos fameufes Grammaires a re- marqué que c'étoit un ufage ordinaire dans la Picardie & dans l'Artois de dire,

de U mien ^ à le mien , aulieu de

du mien y au mien : après une pareille réflexion il efl fur- prenant qu'on n'ait pas abandonné la routine des déclinaifons ; que tout au contraire on en ait augmenté ici l'em- barras, en nous jettant dans un cahos de trois différentes déclinaifons pour le feul article ; tant l'habitude a de force. Dailleurs par quelle étonnante ana- logie fe feroit faite une formation de Cas fi hétéroclite que celle qui dit au nominatif le ^ au génitif du , 3l au datif au ? Pourquoi nôtre Langue ne déclir- nant aucun de fes Noms , c'efl à dire n'admettant aucune différence de termi- îiaifon pour en marquer la différence du régime , auroit-elle en ce goût pour k fcul Article ? & pourquoi l'ayant qu.

DE LA Langue Françoise, ly^'

l'auroit-elle reftraint au feul mafculin , & en auroit-elle excepté le féminin ? Eft-il poiïible que fi le goût de décli-- naifon eût été de la Langue Françoife , il fe fût borné à une fîmple portion du feul Article & fe fût montré fi extraor- dinaire & û irrégulier qu'on le fupofe en cette occafion? Non, ce ne fut ja- mais ni génitif, ni datif, ni déclinaifon d'article que dans les vifîons chiméri- ques de nos Latiniftes. Mais c'eft &: c'a toujours été des contrarions formées pour la douceur de la prononciation, fui- vant le goût propre de la Langue & de l'oreille de la nation. Enfin lorfqu'on dit^

doTînei moi du pain ,

il y a des hommes ^

aller au trot ^

une foupe aux choux ; je demande les dénominations qui fui- vent l'article dans ces façons de parler font des génitifs & des datifs. Si elles n'en font point , comme le bon fens le di£le ; les articles qui les accompagnent n'en font pas nonplus, H iij

'174 ^^^ VRAIS Prikci^e!^

Toutes ces idées de Cas ne font que des livrées de Latinité , que nos Gram- mairiens François n'ont ofé quiter par \q ne fais quel efprit fervile ; quoique nôtre Langue , aulîi viâorieufe que la nation qui la parle , ne s'en foit jamais revêtue. En étudiant au Collège , on a vu que les mots latins varioient leur ter- îninaifon par raport aux diveriités du régime dans lequel on les plaçoit : que ces diverfes terminaifons étoient nom- mées cas : Si comme dans ces Ecoles on n'eft occupé que de la Langue Latine , les Régens s'apliquant uniquement à la rendre intelligible à la jeunefle par des traductions convenables , fans fonger à former des principes fur celle qu'ils par- lent naturellement ; il eu arrivé qu'ils ont également nommé génitif datif en françois ce qui répondoit à ces cas la- tins dans leurs tradudions , fans faire attention que notre Langue marque par des Prépofitions le régime que la Latine marque par des Cas. Je vas , par un

DE laLangue Françoise. 17c

exemple , rendre ceci fenfible même aux perfonnes qui n'ont point étudié & ne favent que leur langue maternelle :

princeps yfervus , filia , impcrator, font des mots latins, répondant aux Fran- çois

prlnct^ do mcfllquc ^ fille ^ tmpcreur, également détachés les uns des autres dans l'état qu'on les préfente. Mais lorf- qu'on en veut faire une fuite de difcours, c*eil à dire les unir par des raports ré- ciproques & les mettre dans un ordre de dépendance propre à former une penfée ; la Langue Françoife fe fert fim- plement de certaines prépofitions , qu'el- le place à la tête de ces mots fans rien changer à leur terminaifon; ainfi elle dit,

h prince a commandé àfon domcfliqii^ d^ aller chei^ la fille de V Empereur : aulieu que la Langue Latine change la terminaifon de ces mots félon la nature du raport qu'on leur donne , & dit la même chofe que la frafe françoife en

Hiiij

z7<^ Les t^ rais Principes

variant (qs cas de la façon fuivante , fcrvo jujjit princeps filiam imperatoris adiré. L'on voit les différentes terminaifons du àdiûï fervo i de l'accufatif ///^//Z:, & du génitif imperatoris exprimer ce que le François fait entendre par les prépoli- îions à che^ de mifes avant les mots do- meflique fille empereur ^ qui reilent tou- jours dans le même état fans aucun chan- gement. Je penfe que j'en ai dit aifez pour faire voir que le François n'a point de cas comme le Latin ; & que leurs noms toutafait étrangers n'ont paffé dans nôtre méthode que par une fauiTe aplication , & par un défaut d'attention à exprimer les règles de nôtre Langue en termes convenables à fon génie.

La déroute de tous ces phantomes de Cas n'ell pas l'unique avantage que neu- tre raifon doit remporter fur les préju- gés de la routine. Profitons de cet heu- reux commencement : pouffons la vic- toire ; & diffipons im autre phantome

i^E LA Langue Françoise, i-jj

qui fe préfente encore ici. C'eft un pré- tendu article , qu'on nomme Indéfini^ & qu'on ne fauroit véritablement définir; dont nos Grammairiens ont conftruit au devant des Noms une contrebatterie & une fortification d'articles redoublés , comme fi un feul ne fufîifoit pas à une fimple dénomination. Ils ne ceffent de le produire comme un Etre fort nécef- faire & d'une rare efpece. De forte qu'une protc£tion fi authentique jointe à une longue pofTefîion feroit capable d'en impofer fur fa réalité ; fi nous n'é- tions pas en état d'examiner fes titres ,' & de voir qu'ils ne confiflent que dans un nom faifi mal à propos , dont on a cru décorer quelques mots d'une autre clafTe. Nous renvoyons donc cet Indé^ fini ^ ainfi que les Cas^ dans le pays des chimères. Tous les fervices qu'on lui at- tribue font réellement ceux de deux de nos prépofitions ou d'une de nos parti- cules; à qui nous ne permettrons jamais de quiter leur propre nom ^ leur vraie

Ï7S Les vrais Principes qualité pour en prendre d'imaginaires ; dautant plus que toute cette décoration empruntée fait naitre , dans l'art de la Grammaire , des difficultés fans nombre 6c des queftions ridicules , dont je rapor- terai bientôt des exemples. Ainii en quelque lieu & en quelque raport que fe trouvent les mots De &c A , qu'on nous donne pour les Cas de cet article indéfi- ni , nous leur conferverons toujours leur vrai nom avec leur emploi modificatif : ils feront partout ou prépofition ou par- ticule ; car telle efl leur nature Fran- çoife. Il y auroit chez moi bien de Tinat- tention fi j'érigeois en article des mots qui fe placent fréquemment il eft dé- fendu à celuila de paroitre , & qui à tout infiant en accompagnent d'autres qui ont pour l'article une antipathie formelle , tels que les noms-propres de perfonnes , les pronoms , & cette efpece d'adjedifs dont la qualification coniifte à particu- larifer ou à totalifer; amfi que le jufli- fient ces frafes ^

DE LA Langue Françoise. 179

les loix ont rendu la naijjancc de Phi- lippe certaine ; quoique la vertu de czl- le qui Va mis au monde ne le fut pas :

ce qui rèujfît à quelques perfonnes ne fait pas une loi à toutes les autres.

Déplus il efl fenfible que ces mots placés auprès de l'Article y figurent au- trement que lui & y ont un emploi mo- difie atif différent du fien , comme dans l'exemple fuivant ,

je cède à la force de la pafjion :

s"* il y a de la peine à la guerre ; il y a auffî de la gloire, Parconféquent il efl: manifeftc qu'ils ne font point de fon efpece : & voilà pour- quoi ils reilent feuls à la tête des déno- minations dans les occafions oii l'article qui les accompagnoit en eft exclus ; comme quand on dit ,

je cède à regret & par pure honte d^ame^ Enfin n'eft-il pas vifible que ces mots ne font point articles dans les frafes fuivan* tes & leurs femblables ?

il eji rude de voyager à pied ,' >

iSo Les vrais Principes

ccfl une figure, à peindre :

elle ejl incapable de nuire :

on dejire de plaire :

je reviendrai de ma campagne à quatre chevaux, <De font cependant les mêmes mots & le même emploi modifîcatif que dans cet autre frafe ,

Vêclipfe de Soleil paroit à quelques bon- nes gens un préfage de malheurs. Ici comme ils fervent à indiquer le raport d'une chofe à une autre : ils font donc partout vraies prépofitions , & ne font pas plus articles dans une circoni^ lance que dans l'autre. Quand je dis,

il ejl incapable de lâcheté ,

c'eji une aciion de lâcheté ; le de n'efl pas dans le fécond emploi au- tre chofe que dans le premier , fervant dans l'un & l'autre à indiquer un raport fpécificatif qui reflraigne l'incapacité & l'a^lion à la lâcheté.

Ce faux nom à' article indéfini^ dont pn avoit déguifé deux mots des plus

DE LA Langue Françoise. i8s

utiles & des plus employés de nôtre Lan- gue , étant fuprimé , on voit ces mots , fous leur vrai nom doprépo/ition ou de particule , non feulement fe préfenter dun air naïf & gracieux mais encore faire évanouir toutes les prétendues dif- ficultés dont les Grammaires font hérif- fées , & dont Vaugelas auroit pu fe dif- penfer de groffir le volume de fes remar^ ques. Je vas en raporter quelques exem- ples , pour faire voir combien l'applica- tion de la méthode latine à nôtre Lan° gue enfante de monflres , & comment rUfagc dans fon pur naturel difîîpe tous ces monilres par des règles fimples clai- res & fûres.

En fupofant donc dans nôtre Langue des Cas dont l'Article ait la diredion , & que parla toute-puiffance grammati- cale de foit un génitif & <z un datif d'ar- ticle indéfini , voyons comment ces Grammairiens fe démêleront des em- barras & nous feront connoitre les cas dans la plupart de nos façons de parler^

tSi Les vrais Principes

Quand on dit , par exemple,

de très habiles gensjont quelquefois du-^ pés par des fots ; On leur demande dabord en quel cas efl gens. Il n'y a pas de doute qu'il ne foit le Subjedif de la frafe ou, félon l'ex- prefîion de leur fyntaxe , le Nominatif qui régit le Ycrhc font dupés ; &c qu'ainfî toute idée de génitif doit s'en écarter. Il eu. également vifible que ce fubflantif eft accompagné du génitif de leur arti- cle indéfini , & que parconféquent il en doit fuivre le cas ; puifque c'efl le but de cet accompagnement , & ce qui fait félon eux l'eiTence de l'article. Quel parti prendront-ils ? On leur demande cnfuite quel cas régit la prépoiition/?^r,- & il le régime n'eft pas dans cette ex- prefîion dupés par des fots le même que dans celleci dupés par les fots. Pourquoi donc cette différence de cas ? elle répu- gne fi le régime y eft le même ; &: s'il ne î'eft pas , qu'ils expliquent la raifon qui fait régir des cas différens à la même

DE LA Langue Françoise, i?|

prépoiition dans des frafes fi femblables ^ ou plutôt dans la même ; car il n'eft queilion que de mettre ou d'ôter à fa volonté ce prétendu génitif indéfini en confervant les mêmes mots & le même ordre de la frafe. On les prie encore de dire bien précifément en quel cas eft le mot qui dans cette frafe ,

pardonne,:^ à qui veut vous nuire. Selon leur merveilleufe méthode il fe trouvera tout à la fois au datif & au no- minatif : de façon qu'il fera une chofe qui n'eft pas celle qu'il efl : & la règle de Grammaire donnera le démenti à l'axiome de Géométrie.

Il arrive aufîî dans ce fyfîeme une cbofe toutafait divertiffante. C'eft que les différens articles fe rafTemblent & font , pour ainfi dire , efcadronner tous leurs cas à la tête d'un feul & même nom : tel efl l'exemple fuivant ,

il ne s^amufe pas à de la crème fouettée * quand il peut s'attacher à de la viande folide.

î§4 Les vrais Principes

Ne voila-t-il pas les dénominations cre- & viande bien accoutrées d'articles ? Elles en ont trois de front , définis & in- définis. Si chacun d'eux fait fon devoir pour la fixation du cas ; elles feront tout à la fois au datif au génitif & au nomi- natif : ou s'ils concourent tous à mar- quer un feul & même cas par la force d'une union imaginée pour former un troiiieme article compofé mitoyen & hi- lare , ainii que le nomme fort ingénu- ment l'auteur qui l'a forgé ; comment 6c pourquoi ces articles perdent-ils par leur proximité leur valeur efîenciel- le ? Cela eil-il pofîible ? Que de confu- sion & de galimatias dans ces fortes de Grammaires I Eft-ce ainfi qu'on établit des principes , & qu'on explique les loix de l'Ufage ?

Pour répondre à ces prétendues irréç gularités & à cent autres de la même efpece , qu'il eft inutile de raporter Se qu'il feroit même cruel de préfenter à un iefteur délicat , on aura beau mettr^

DE LA Langue Françoise, j

Ion efprit à la torture ; on ne trouvera jamais , dans le fyfleme des cas & des articles indéfinis , rien qui fatisfafTe la raifon ni qui levé les difficultés ; puifque c^eft ce fyfteme qui les produit. Les Grammairiens qui n'en voudront point démordre feront toujours obligés d'en venir à l'exclamation fur la bizarerie He rUfage. Mais celuici moins piqué de |L^ leurs reproches que touché de leur écart, »; leur dira d'un air à les rapeler à lui : Ç Mefîieurs qui difcourez impitoyable- ment contre moi n'avez-vous pas des yeux & des oreilles ? Pourquoi donc i me montrant à vous à tout inilant , ne me voyez- vous pas tel que je fuis ? Par quel enchantement , voulant me réduire en art , vous livrez-vous aux chimères d'une imagination altérée par des idées étrangères , aulieu de faire attention à mes propres règles & à mes pratiques particulières ? Regardez moi bien dans les exemples raportés ; mes noms & mon article n'y ont point de Cas ; celuici y

i86 Les vrais Principes

efl fimple & unique dans les endroits oii il fe trouve , & y a fa place immédiate- ment avant la dénomination. Quant aux mots placés avant lui & que vous pre- nez pour les Cas d'un autre article , d'où nàifTent tous vos embarras , ils ne font rien moins que ce que vous dites. Atten- dez à les définir que vous les ayez con- nus ; & vous les connoitrez lorfqu'après avoir quité vos préjugés vous m'obfer- verez uniquement. Vous verrez alors, dans le premier exemple , que le mot di qui commence la frafe n'efl point un ar- ticle mis pour annoncer fimplement la dénomination ; mais qu'il eft une parti- cule extradive , dont la fonÛion eil de faire entendre que la dénomination qu'el- le précède eft employée dans un fens d'extrait & non d'univerfalité , le defleia n'étant pas de préfenter l'efpece géné- rale des habiles gens mais un extrait de ces gens ou de cette efpece. Si peu qu'on ait d'intelligence, on fentira par l'expref- fion même qu'autre chofe eft dire de très

z>js LA Langue Françoise, 1S7

habiles gens , & autre chofe dire les hahU les gens : que cette autre chofe ne con- fiée pas dans la différence du cas & de l'article , mais bien dans la différence de l'étendue du fens de la dénomination ; car lorfqu'on dit les habiles gens , la chofe dénommée eff repréfentée en générali- té ; & lorfqu'on dit d'habiles gens , elle cft repréfentée en portion ou en extrait. Cette reilriûion de fens eft l'effet d'une particule & non d'un article ; ainli vô- tre difficulté de génitif ou de nominatif efl chimérique. Vous verrez parconfé- quent que la dénomination qui régit le verbe font dupés efl réellement telle qu'elle doit être, en Subjedif ou , corner me vous parlez, en nominatif de frafe,' mais fans article acaufe du fens dans le- quel elle efl employée & de la place qu'elle occupe après fon adje£lif.Pourle mot des y qui dans le même exemple pré- cède la dénomination/cî/i , c*eft un mot fyncopé , formé par la contra£lion de la particule de avec l'article hs i U le tout

î85 Les vrais Principes

efl fous le régime de la prépofition;;^/'; régime qui ne confiile pas dans les Cas , qu aucun de ces mots n a ni ne fauroit avoir, mais fimplement à être le com- plément du raport qu'indique cette pré- pofition. Parconféquent, foit qu'on dile par dcsfots ou parksfots ^ c'eft toujours im même régime : la particule extraûi- ve n'y change rien à cet égard ; puif- qu'elle n'a ni ne dénote aucun cas: tout fon fervice confifle comme ailleurs à reftraindre l'étendue de la dénomination,' y laiffant l'article hs quoiqu'un peu dé-^ guifé par fon état de fyncope avec elle; A l'égard du mot qui de la féconde frafe, ne voit-on pas qu'indéclinable comme les autres il eft un relatif placé entre deux attributifs, pour être le fub- jeaif du fécond , qui eft le verbe veut; & contribuer en même temps à former le terminatif du premier , qui ^Çt pardon-^ nei ^ en fe trouvant, avec tous les mots qui le fuivent, fous le régime de la pré- pofition à^ c'eft à dire faifant tous en-

r)E LA Langue Françoise, iS^

femble le complément de rinclication ? Dans le troifieme exemple , rien de plus fimple ni de plus régulier que moi , ajoute rUfage. Tout ce bataillon d'ar- ticles différens &: à divers cas , dont on a fait naitre un nouveau monflre d'arti- cle à trois têtes , fource d'irrégularités fans nombre , n'eft en vérité que le phantome d'une imagination trop fubju- guée par la routine , & qui , ne regar- dant les objets qu'à travers d'une lunette défeûueufe , les voit tout-autres qu'ils ne font. Pour moi, continue l'Ufage, qui me connois parfaitement dans tou- tes mes parties , je dirai à ceux qui s'en raportent à mon autorité que ces trois mots à de la^ mis devant les fubftantifs criinz & viande , font de trois efpeces dif- férentes, ayant chacun leur fens parti- culier & un différent emploi modifîcatif. Que la y qui précède immédiatement le nom 5 ell l'article qui l'annonce , féminin fmguiier & privé de cas comme lui. Que ds, , placé avant- la , eft une particule

190 Les vrais Principes qui réduit en extrait la totalité de la chofe dénommée par les fubflantifs. Qu'enfin à eft une prépoiition qui a fous ion régime le nom avec tout ce qui en compole le cortège , foit pour l'annon- cer, ou pour en reflraindre l'étendue du fens , ou pour le qualifier ; & qu'elle fert à indiquer le raport qu'il y a entre raâ:ion exprimée par le verbe & le ter- me de cette aftion marqué par ces mots de la crcmt fouettée ou par ceuxci de la viande folïde. Cela ell clair fimple vrai , & nous débarafîe d'un tas de règles éga- lement épineufes incertaines & chiméri- ques ; dont il faut que je raporte encore tin exemple tiré de Vaugelas.

Cet auteur, examinant dans fes Re- marques une de nos façons de parler , propofe cette quellion fur l'article , fa- voir en quelle occafion l'adjeftif en prend un à part outre celui de fon fub- ilantif ; & regarde comme une grande difficulté de Grammaire , de rendre rai- fo» pourquoi cet article répété fe n;et

DE LA Langue Françoise, lyr

toujours au nominatif quoique celui du fubflantif foit au génitif ou à un autre cas.

Il prononce fur le premier chef en ces termes : « tout adjedif mis après le » lubftantif avec ce mot plus entre deux » veut toujoiurs avoir fon article : & cet » article fe met immédiatement devant i> plus , & toujours au nominatif, quoi- » que l'article du fubflantif qui va de- » vant foit en un autre cas quelque cas » que ce Toit ». Il cite pour preuve de fa décifion plufieurs exemples ; entre lefquels eft celuici ,

c\Jl la coutume, des peuples les plus bar^ bares : il fupofe que des efl génitif de l'ar- ticle pluriel , & que les en efl le nomina- tif. Enfuite il avert't que la même chofe a lieu à l'égard de moins & mieux : qu'on dit,

je parle de Vhommt le moins heureux jj de V enfant le mieux élevé, jCe prononcé ne fuppofe pas un exa^!

^«92. Les vrais Principes

men profond de toute l'étendue de l'U- fage ; puifqu'il n'en embrafTe qu'une par- tie : y ayant d'autres occafions que cel- les au plus moins &c mieux l'article fe répète étalement pour l'adjedif qui fuit 3 telles que font cellesci ,

la femme la meilleure ^ Louis le jeune î

Chark le chauve^ Padoue la docle :

& y en ayant d'autres oti cet article ne

ie répète ni de vant/?te, ni à.QV2int mieux ^

ni devant moins ; comme quand on dit ,

^ètoitla coutume des Grecs plus policés

que leurs voijîns : la cadette mieux injlruite n^cn fut pas

la dupe : h François moins difjimulè que P Italien n^ejl pourtant pas un politique moins habile, II auroit falu voir tout cela à la fois , le renfermer dans la queftion , diftinguer l'exemple de la règle , & aulieu d'une ^écifion particulière en faire une géné- rale qu'on pût apliquer à toutes les oc- çafions la même chofe doit arriver.

h

BE LA Langue Françoise, 195

A regard de la difficulté fur la pré- tendue différence des Cas, Vaugelas ne juge pas qu'il faille une grande recher- che pour trouver la raifon qui l'autO'^ rife, ayant une refTource promte & familière dans les maximes grammati- cales de fon temps. Deux mots foufen- tendus viennent à propos le tirer d'intri^ gue : il ajoute donc très férieufçment que quand on dit ,

des peuples les plus barbares , c'eft comme s'il y avoit ,

des peuples qui font les plus barbares* De façon que félon lui c'eft à ces deux mots foufentendus qui font que l'adjeftif çll: redevable de fe voir au nominatif quoique fon fubilantif foit au génitif. Mais comme il n'y a point d'occafion oh. l'on ne puifle foufentendre entre le fubftantif & l'adjeftif ces deux mots qui font ou qui ejî ; il s'enfuivra , par la rai-- fon des foufentendus, que l'adje (biffera toujours au nominatif, en quelque cas I que foit le fubftantif. Car quan4 on dit.

Tome 4 I

t94 ^^^ rkÂîs Principes

la fortune d'un courtifan heureux , le goût des chofes nouvelles y la conduite de la femme fidèle , la coutume des peuples barbares ; c'eft en vérité , aufTi bien que dans l'e- xemple raporté , comme fi l'on difoit , la fortune d'un cmrtifan qui efi heureux , le gQUt des chofes qui font nouvelles , la conduite de la femme qui eft fidèle , la coutume des peuples qui font barbares. Cependant ni Vaugelas ni perfonne ne s'eil encore avifé de penfer que dans ces occafions l'adjeaif ne s'accorde pas avec le cas de fon fubftantif. Si les fouf- entendus n'influent pas dans ces derniers exemples ; pourquoi influeroient - ils dans Tautre ? ou plutôt pourquoi cher- cher du foufentendu tout eft claire- meut exprimé fuivant l'ufage le plus fimple & le plus commun ? Quelle fe- crette & bizare caufe pourroit ici dé- ranger la règle la plus fôre & la plus générale de l'harmonie du difcours, & èter au fubftantif le droit naturel qu'il

DE LA Langue Françoise, 19^ a dans toutes les Langues fur le nombre le genre & le cas de fon adjedif ? Il n'y a que les chimères qui puiflent produire tant d'embarras & de confufion.

Le bon-fens &: la raifon ne propofent point de pareilles difficultés ; parcequ'ils voient bien qu'elles n'exiilent pas , que tout s'accorde parfaitement & fe trouve fous le régime d'une prépolition ; qui , comme je viens de l'expliquer , fe con- trade quelquefois avec l'article auprès duquel elle fe trouve : & comme elle ne doit point être répétée mais demeurer feulement à la tête de tout ce qui eil fous fon régime ; cela fait qu'elle ne fe contrade qu'avec l'article du fubilantif qui va le premier , & non avec celui qui eft répété pour l'adjedlif. Cette écono- mie de conilru6lion paroit fenfiblement dans les exemples la contraction n'a pas lieu , tels que les fuivans :

il s'eji attaché à la femme la plus CO'*, quitte :

<i^ous vous amufei ^ toutes Us occupa^^^ fions las moins utiUs ; I i;

196 Les vrais Principes

comment guérir de la paffion la plus vio" lente ? Elle fe manifefle aiiiîi dans ceux l'on emploie les autres prépofitions , que les Grammairiens n'ont pas habillées en ar- ticles :

vous travaillei^ pour U prince le plus

généreux : f écris fur la matière la plus délicate quoique la moins brillante, N'eft-il pas vifible que c'eft partout un même tour de frafe & un même génie de Langue ? Qu'il n'y a à cet égard au- cune différence entre ces exprelîions , les démarches de l'ami le plus fidèle , les démarches pour Vami U plus fidèle. Que de & pour ne font dans l'une &: l'autre exprefTion que des prépofitions fervant à indiquer non divers cas mais divers raports ; de en marquant un d'origine , par lequel l'ami eft préfenté comme auteur ou afteur des démarches; & pour marquant un raport de but ou de motif p qui fait que l'ami fe montre

DE LA Langue Françoise, ic^j

comme terme des démarches. Ne crai- gnons donc pas de répondre à Vaugelas que fa difficulté n'a jamais lieu.

Quant à la répétition de l'article , on décideroit mieux & l'on donneroit une règle plus générale parconféquent plus utile , en dilant que cette répétition fe fait & doit fe faire toutes les fois que radjeâ:if doit être au fupreme degré , &: lorfqu'il fe trouve à la fuite d'une déno- mination individuelle de perfonne ou de lieu ; comme il paroit dans les exemples raportés & dans les fuivans : N

les hommes les plus habiles font quelque- fois les fautes les plus grofpcres : un fou fe moque du philofophe le plus

fenfé : la femme la plus prude n^eflpas toujours

la femme la plus f âge :

la vie de Louis le grand rHefl pas VoU"

vrage le meilleur de nôtre fiecle.

Qui faura & voudra réfléchir fur la force

des expreffions ne manquera pas de voir

que les adjeftifs habiles ^